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d’approbateurs : trente de ces c…s applaudirent fort, et le dernier fit ce qu’il put pour rire, mais il n’en avoit pas beaucoup d’envie. » Le dernier, c’est évidemment Molière ; mais ne voit-on pas qu’il n’est incorporé dans la bande que pour donner lieu à retourner contre lui le trait qu’il avait lancé ? De Villiers ne croyait pas lui-même au bien fondé de son allusion, et la preuve c’est que, dans un recueil par lui publié en cette même année 1663, les Nouvelles nouvelles, il disait de Molière : « Si vous voulez savoir pourquoi, presque dans toutes ses pièces, il raille tant les c…s et dépeint naturellement les jaloux, c’est qu’il est du nombre de ces derniers. Ce n’est pas que je ne doive dire, pour lui rendre justice, qu’il ne témoigne pas sa jalousie hors du théâtre : il a trop de prudence et ne voudrait pas s’exposer à la raillerie publique ; mais il voudrait faire en sorte par le moyen de ses pièces que tous les hommes pussent devenir jaloux et témoigner leur jalousie sans en être blâmés, afin de pouvoir faire comme les autres, et de témoigner la sienne sans crainte d’être raillé. » Voilà qui est bien alambiqué, mais la réserve, du moins, est expresse : dans Molière, De Villiers ne voyait qu’un jaloux.

Sept ans après, en 1670, alors que la réputation d’Armande, si elle fut jamais compromise, devait l’être définitivement, Le Boulanger de Chalussay, l’auteur d’Élomire hypocondre, n’était pas plus affirmatif que De Villiers. Il représentait Elomire, c’est-à-dire Molière, se plaignant de sa santé à L’Orviétan et à Baru. Elomire « a une grosse toux et l’oreille lui corne de mille tintoins. » Bary répond :


Les cornes sont toujours fort proches des oreilles.
ELOMIRE
J’aurais des cornes, moi ? moi je serais eu.
L’ORVIETAN.
On ne dit pas qu’encor vous le soyez actu ;
Mais, étant marié, c’est chose très certaine
Que vous l’êtes, du moins, en puissance prochaine.


Du vivant de Molière, il ne fut pas imprimé autre chose sur son ménage. Après sa mort, à une époque indéterminée, un grossoyeur de notes et d’anecdotes, de petits papiers et d’extraits de jurnaux, dont le recueil manuscrit est venu jusqu’à nous, le sieur Jean-Nicolas de Tralage, parait-il, s’amusait à dresser un double catalogue des comédiens qui « vivaient bien » et de ceux qui « vivoient mal, » et, parmi ces derniers, il rangeoit « la femme de Molière entretenue à diverses fois par des gens de qualité et séparée de son