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façonner la mémoire et le corps, le moment le meilleur est celui où la mémoire est plus Adèle et le corps plus souple. Comme tous les élémens, ceux de la science militaire doivent être enseignés à l’enfance. Mais si le conscrit se forme à l’école, que lui restera-t-il à faire, devenu homme ? A conserver le savoir, et il le conservera par les mêmes moyens qui le lui ont donné. Il l’aura appris enfant sans être enlevé au foyer paternel, à ses études ordinaires, par des exercices passagers. Homme, il se tiendra en haleine par des exercices qui ne l’éloigneront pas davantage de son domicile et de ses travaux.

Le jour où ces idées auront triomphé, une grande révolution sera en effet accomplie : au système des armées permanentes succédera le système des milices.

Douter que ce changement soit réclamé, c’est douter qu’il y ait des hommes épris de logique et avides de se créer des titres auprès du peuple. Douter que ce changement s’accomplisse, c’est douter que ce peuple soit las de ses charges. Il est souverain, la meilleure manière de le conduire est de le flatter ; il souffre, la meilleure manière de le flatter est de le plaindre. Nulle souffrance n’est faite pour exciter sa pitié sur lui-même à l’égal de la servitude militaire qui saisit chaque homme et lui vole trois années de vie. Les ambitieux qui rôdent autour de la foule pour surprendre les moindres secrets de son cœur ne laisseront pas sans la satisfaire son ardeur passionnée pour le repos. La réduction du service est la première des réformes que devront au peuple ses amis, et s’ils accordent la plus petite, comment ne pas consentir toutes les autres ? Sur quel point de la pente où ils sont engagés s’arrêteront-ils ? Pour rester les premiers dans la faveur publique, ils descendront toujours plus bas sur le penchant des promesses, et ils ne s’arrêteront que le jour où il n’y aura plus rien à réduire dans les charges militaires.

Livrée à l’improbité sans scrupules des politiciens, comment résisterait la candeur sans prévoyance du peuple ? S’obstinera-t-il à des sacrifices qu’on lui démontrera inutiles, et repoussera-t-il des réformes qui allègent ses charges en satisfaisant sa raison ? Le souvenir de nos malheurs ni l’ambition d’un rôle à jouer dans le monde ne le défendront contre les sophismes. La salutaire tristesse des deuils n’est pas durable, et l’on se lasse de craindre comme de pleurer. La démocratie ajoute à ses oublis ses ignorances. Elle ne regarde pas au dehors ; elle a des ambitions, des intérêts et des haines plus proches. Les progrès des peuples étrangers comme leurs desseins lui échappent, et parce qu’elle n’est pas menaçante elle ne se croit pas menacée. L’armée lui semble d’autant plus