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lesquelles elle n’est pas faite la rendent incapable d’une guerre générale, la seule à laquelle elle soit destinée.

Ces maux ne sont plus à prévoir, attestés déjà par l’expérience de deux campagnes. Les expéditions de Tunisie et du Tonkin ont été résolues, l’une pour donner la sûreté à notre possession africaine l’autre pour établir notre prépondérance dans l’Indo-Chine. Le but valait un effort, les moyens étaient préparés, la mobilisation d’un ou deux corps d’armée pouvait fournir en quelques jours des troupes rassemblées avec ordre, l’occasion enfin se présentait d’éprouver par un essai sans danger le mécanisme qu’il serait si hasardeux d’expérimenter pour la première fois dans une grande guerre. Le gouvernement ni les chambres n’ont osé le faire mouvoir. Plutôt que d’appeler les réserves, ils auraient renoncé aux expéditions. Dans l’une et dans l’autre, on n’a employé que l’armée déjà sous les drapeaux et chaque fois on a vu le même spectacle : les soldats, recrutés partout, enlevés aux officiers qui les formaient pour passer sous les ordres de chefs qui ne les connaissaient pas, les corps auxquels ils étaient pris ne conservant pas même les effectifs suffisans pour les exercices, les corps destinés à la campagne formant des masses sans cohésion, sur quelques points l’aspect d’une armée qui se constitue malaisément, sur tous les autres d’une armée qui se débande, un va-et-vient tumultueux d’hommes et de matériel, tous les mécomptes de l’improvisation, toutes les difficultés qui naissent quand il ne s’agit pas seulement de se servir d’une force, mais de la créer. Avant le départ des troupes, la France a pu juger le vice de son organisation militaire.

La guerre a permis de juger les soldats. Recrutées en grand nombre de ceux qui avaient demandé à partir, ces troupes comprenaient les élémens les plus vigoureux de l’armée. Elles ont eu des heures brillantes et plus d’un acte accompli par elles mérite le nom d’héroïque. Mais ce serait se faire une bien faible idée des vertus militaires que les réduire au courage. Dans la Tunisie l’adversaire unique, au Tonkin l’adversaire principal était le climat. Trop jeunes et trop neuves, nos armées se sont mal défendues contre lui : elles ont semé leurs traînards sur les routes et rempli les hôpitaux de leurs malades. Quand elles se sont battues, elles ont remporté des victoires, mais jamais l’ennemi n’a été cerné, dispersé, poursuivi dans ses retraites, réduit à abandonner le pays. Le petit nombre des Français ne suffit pas à tout expliquer : ils avaient pour adversaire le peuple le moins militaire du monde. Sans doute il le devient et les Chinois d’aujourd’hui ne ressemblent guère à ceux que nos soldats avaient connus en 1862. Mais s’ils sont nouveaux, sommes-nous demeurés les mêmes, s’ils ont changé de