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de former plus vite dans la classe des gradés plus capables. Sans doute ils sauront en un an tout ce qui se retient par la mémoire, mais, s’ils sont promus de façon à servir deux ans comme sous-officiers, ils n’auront pas eu le loisir d’apprendre la vie du soldat. Leur zèle ne viendra pas en aide à leur inexpérience : quiconque dans un certain rang social aime l’armée y entre par les écoles ou l’engagement volontaire, quiconque n’y entre pas ainsi n’aspire qu’à reprendre sa carrière ou son oisivité. Si on les nomme par préférence, à cause des services plus immédiats qu’ils peuvent rendre, les candidats moins instruits et moins riches, les seuls parmi lesquels on puisse espérer des rengagemens, seront écartés. Si, au contraire, dans l’intérêt de l’avenir, on préfère aux jeunes gens qu’on désespère de garder les candidats sans études et sans éducation, la hiérarchie des grades ne sera plus conforme à la hiérarchie des aptitudes. Des hommes plus capables resteront sous les ordres d’hommes moins aptes à commander. Les sous-officiers, aux yeux des hommes, n’avaient pas le prestige que donne le temps, ils perdront même celui que donne l’intelligence. La présence de la jeunesse instruite dans les rangs affaiblira encore les cadres inférieurs.

Il est commun de dire que les bons officiers font les bons soldats : il n’est pas moins vrai que les médiocres soldats font les médiocres officiers. Le commandement, fût-il confié au génie même, perd sa force si des rouages trop grossiers le transmettent. Rien ne décourage les meilleurs chefs comme la résistance passive, également éloignée de la révolte et du zèle, et qui, faisant obstacle à tout progrès, ne donne même pas prise à une rigueur salutaire. Cette obéissance morte les dégoûte de vouloir, le sentiment de l’autorité même les empêche d’exiger ce qu’ils désespèrent d’obtenir, et l’inertie qu’ils ont combattue sans succès les gagne à leur tour. Le service à court terme prépare d’une façon plus directe cette ruine du commandement. Les deux tiers des sous-lieutenans viennent des sous-officiers. Dans une armée où ceux-ci disparaissent presque tous avec leur classe, il n’y a plus à choisir pour l’épaulette les meilleurs, mais à accepter ceux qui consentent, plus à leur faire des conditions, mais à subir les leurs. Leur offrir, comme autrefois aux meilleurs, le grade d’officier comme la récompense d’un long noviciat serait rebuter les plus médiocres. Ils sont d’un temps où tout désir est une impatience. Voilà pourquoi il a fallu fonder pour toutes les armes des écoles où les sous-officiers peuvent se présenter, et d’où les admis sortent après un an avec le grade d’officier. Si le jeune homme, que les gains et la liberté de carrière civile sollicitent, n’a pour le retenir dans la servitude militaire que la