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déposé la force et l’unité de la patrie. M. Thiers, auteur de la loi sur l’armée, put tomber du pouvoir, c’est l’armée elle-même qui y monta avec le maréchal de Mac-Mahon. Elle eut à la fois à la tête du gouvernement son plus haut dignitaire et à la tête de l’opposition son plus illustre défenseur. Mais les luttes qui la respectaient déchirèrent bientôt les partis. L’assemblée nationale par ses fautes devint impopulaire. La sagesse de sa conduite au dehors, en éloignant les périls, détournait les esprits des craintes qui auraient rappelé ses services, le bien qu’elle avait accompli donna tout le loisir de condamner le mal qu’elle avait fait, et la fin de son mandat fut la fin de sa politique.

Les élections de 1876 et de 1877 donnèrent le pouvoir à un parti nouveau. En même temps qu’il pénétrait dans la chambre, les représentans de l’armée en sortaient. L’assemblée nationale avait jugé que, la réforme militaire faite, la place des officiers était à la tête de leurs troupes et non au milieu des querelles, et on les avait déclarés inéligibles. M. Thiers, plus puissant que jamais, était, au moment où se préparait son triomphe, surpris par la mort. Le maréchal, vaincu par la défaite de ceux qui l’avaient porté au pouvoir, et isolé dans la foule des triomphateurs inconnus, abandonna le pouvoir où il devenait prisonnier. Ainsi se brisèrent tout à coup les liens entre le présent et le passé.

Les hommes qui se trouvaient les maîtres avaient appliqué toute la force de leur esprit ou de leurs passions aux affaires intérieures. Leur incompétence les aurait détournés de toucher aux institutions militaires s’ils eussent été d’un temps où pour décider il faut savoir. Mais l’armée tenait dans la vie des citoyens une trop grande place pour ne pas attirer le regard des législateurs. Ne pouvant demander conseil ni à leur propre expérience ni à celle des conseillers autorisés, ils n’avaient pour guides que leurs idées accoutumées. Leur victoire était le triomphe de certaines doctrines dans le gouvernement et l’état, il était inévitable qu’ils cherchassent à les répandre. A une assemblée qui avait tout organisé dans la nation pour le développement de la force militaire succédait une assemblée qui allait tout disposer dans l’armée pour le triomphe de la démocratie.

La démocratie aime l’égalité, l’armée pour des égalitaires était un scandale. A son origine même, la division entre les privilégiés qui servaient six mois et les infortunés qui servaient cinq ans plaçait une injustice universelle. Dès l’avènement des républicains, le service de trois ans apparut comme une conséquence.

L’esprit de l’assemblée nationale, survivant encore dans le sénat, ne permettait pas d’effacer la loi de 1872 ; mais sans la détruire, on pouvait ne la pas appliquer. En fixant la durée du service, elle avait