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Devant les grands succès et devant les grands revers l’âme française manque de constance. L’orgueil qu’elle avait eu jusque-là d’elle-même se tourna en admiration pour un rival devenu si facilement un maître. A la profondeur de la blessure ouverte dans son flanc, le vaincu mesurait la puissance de l’arme qui l’avait atteint, il voulut arracher de sa plaie ce fer pour s’en servir à son tour. Comme il condamna ses institutions politiques, il condamna ses institutions militaires. Un cri s’éleva unanime : il fallait mettre à profit l’expérience payée si cher, prendre ses lois au vainqueur.

La force la plus visible de l’Allemagne avait été le nombre. L’assemblée nationale, par un vote unanime, déclara soldats tous les Français. Les Français voulurent cette loi non-seulement parce qu’ils la croyaient nécessaire, mais parce qu’elle était généreuse. Le régime qui avait rendu la science des armes étrangère à la plupart des citoyens, permis à chacun d’acheter un autre homme pour mourir à sa place, chargé l’état lui-même de vendre aux Français le droit de ne pas défendre la France, pesait sur tous comme un remords. Altérés de sacrifices, ils voulaient préparer à de grandes fautes la revanche de grandes vertus. Gardienne de l’unité nationale, l’armée en devait être l’image. Il fallait y rassembler toutes les conditions, l’enrichir de toutes les intelligences, apaiser les haines des classes dans la piété d’un devoir commun, rendre impossibles, soit les divisions entre les soldats et le peuple, soit l’oppression du peuple par les soldats, et renouveler chez tous à la fois la conscience des libertés publiques et le sentiment de l’autorité. Sociale ou militaire, l’œuvre était également auguste. Le plus grand péril semblait alors que la pureté d’un tel patriotisme fût altérée par le mélange de sentimens moins nobles. Dans ces troupes il n’y avait plus de place pour des soldats vieillis par l’oisiveté des garnisons ou recrutés par un appât mercenaire. L’offre de la vie devenue un acte religieux ne pouvait être ni un métier ni un trafic. Aux portes de l’armée, qu’il s’agît d’entrer ou de sortir, l’argent perdait sa puissance. La suppression du remplacement et des primes fut la conséquence de cette conception héroïque : en écartant de l’armée le lucre, l’assemblée crut chasser les vendeurs d’un temple.

La paix, qui avait étendu l’Allemagne et réduit la France, donnait à l’une et à l’autre la même population. En décidant, à l’imitation de l’Allemagne, que tout homme devrait le service de vingt à quarante ans, — neuf ans dans l’armée active, onze dans l’armée territoriale, — la France s’assurait la même quantité de soldats. Restait à leur donner des qualités égales. Ainsi que l’éducation des premières