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celles des montagnards des cantons alpestres. Voyez l’importance qu’on attache en Suisse aux tirs à la carabine, aux luttes, aux jeux athlétiques de toute sorte. C’est comme dans la Grèce antique. Ainsi faisaient nos vaillans communiers flamands au moyen âge, imitant les chevaliers, contre lesquels ils apprirent de cette façon à lutter sur les champs de bataille. Ces exercices de force et d’adresse forment les peuples libres. Il faudrait les introduire ici partout, en offrant des prix pour les concours. C’est aux jeux auxquels s’adonne la jeunesse d’Angleterre qu’elle doit sa force, son audace, sa confiance en elle-même, ces vertus héroïques qui lui font occuper tant de place sur notre globe. Récemment, le ministre de l’instruction publique de Prusse a fait une circulaire que je voudrais voir reproduite en lettres d’or dans toutes nos écoles, pour recommander qu’on pousse les enfans et les jeunes gens à se livrer à des jeux et à des exercices, où se développent les muscles, en même temps que le sang-froid, la rapidité du coup d’œil, la décision, l’énergie, la persévérance, toutes les mâles qualités du corps et de l’esprit. Il ne faut plus faire des gladiateurs comme en Grèce, mais des hommes forts, bien portans, décidés, et capables, au besoin, de mettre un bras vigoureux au service d’une cause juste. Les dimanches et les jours de fêtes, les campagnards dansent ici le kolo avec entrain, mais cela ne suffit pas.

En rentrant à Djakovo, je demande à l’évêque comment va le séminaire qu’il avait fondé en 1857 pour le clergé catholique bosniaque, avec le concours et sous le patronage de l’empereur. Je venais d’en lire un grand éloge dans le livre du capitaine G. Thoemel sur la Bosnie. Le visage de Mgr Strossmayer s’assombrit. Pour la première fois ses paroles trahissent une profonde amertume. — « En 1876, on l’a transporté à Gran, me dit-il. Je ne m’en plains pas pour moi ; plus on m’ôte de responsabilité devant Dieu, plus on diminue mes soucis et mes soins, qui déjà dépassent mes forces, mais quelle injustifiable mesure ! Voilà de jeunes prêtres, d’origine slave, destinés à vivre au milieu dépopulations slaves, et pour faire leurs études, on les place à Gran, au contre de la Hongrie, où ils n’entendront pas un mot de leur langue nationale, la seule qu’ils parleront jamais, et celle qu’ils devraient cultiver avant toute autre. Que veut-on à Pest ? Espère-t-on magyariser la Bosnie ? Mais les malheureux Bosniaques n’ont pu rester à Gran ; ils se sont enfuis. Il est vraiment étrange combien, même les Hongrois qui ont le consciencieux désir de se montrer justes envers nous ont de la peine à l’être. En voici un exemple. Je rencontrai, par hasard, Kossuth à l’exposition universelle de Paris, en 1867. Il venait d’exprimer, dans des discours et des brochures, que le salut de la Hongrie