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il n’y a que cinq personnes, trois vieilles femmes très âgées, mais nullement indisposées, un vieillard de cent quatre ans, très fier de lire encore sans lunettes, et un tzigane qui souffre d’une bronchite. Les familles patriarcales, de la campagne gardent leurs malades. Grâce aux zadrugas, personne n’est isolé et abandonné. L’évêque se rend auprès de la supérieure des sœurs de charité qui desservent l’hôpital. — « Elle est de la Suisse française, me dit-il, vous pourrez causer avec elle ; mais elle est en grand danger. Elle doit aller à Vienne pour subir une grave opération ; j’ai obtenu qu’elle soit faite par le fameux professeur Billroth. Nous la transporterons par le Danube, mais je crains même qu’elle ne puisse plus partir. » — Et, en effet, ses pommettes rouges enflammées par la fièvre, ses yeux cerclés de noir, son visage émacié, ne laissent point de doute sur la gravité de la maladie. « Croyez-vous, monseigneur, dit la supérieure, que je puisse revenir de Vienne ? — Je l’espère, ma fille, répond l’évêque de sa voix grave et douce, mais vous savez comme moi que notre vraie patrie n’est pas ici-bas. Que nous restions quelques jours de plus ou de moins sur cette terre importe peu, car qu’est-ce que nos années auprès de l’éternité qui nous attend ? C’est après la mort que commence la véritable vie… C’est au-delà qu’il faut fixer nos yeux et placer notre espérance ; alors nous serons toujours prêts à partir quand Dieu nous appellera. » — Cet appel à la foi réconforta la malade, elle reprit courage, ses yeux brillèrent d’un éclat plus vif : « Que la volonté de Dieu se fasse ! répondit-elle ; je me remets en ses mains ! .. » — Décidément, le christianisme apporte aux malades et aux mourans des consolations que ne peut offrir l’agnostisme. Qu’aurait dit ici le positiviste ? Il aurait parlé de résignation sans doute, liais cela est inutile à dire, car à l’inévitable on se résigne toujours d’une façon ou d’une autre. Seulement, la résignation de l’agnostique est sombre et morne ; celle du chrétien est confiante, joyeuse même, puisque les perspectives d’une félicité parfaite s’ouvrent devant lui.

Mgr Strossmayer me montre l’emplacement où il bâtira le gymnase et la bibliothèque. Au gymnase, les jeunes gens apprendront les langues anciennes et les sciences, de façon à les préparer à l’université et au séminaire. A la bibliothèque, il placera l’immense collection de livres qu’il réunit depuis quarante ans, et ainsi les professeurs trouveront ce qu’il leur faut pour leurs études et leurs recherches. Toutes les institutions publiques que réclament les besoins et les progrès de l’humanité sont ici fondées et entretenues par l’évêque, au lieu de l’être par la municipalité. Il veut aussi rebâtir l’école communale, et il y consacrera une centaine de mille francs. Du grand revenu des terres épiscopales rien n’est gaspillé