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sénéchal de Bourgogne, eut naturellement pour auxiliaires tous les membres de sa famille, la plus considérable du duché, notamment ses deux oncles, Antoine de Vergy, maréchal de France pour Henri VI, châtelain d’Andelot, seigneur de Champlitte, et Jean, bâtard de Vergy, seigneur de Sailly et de Richecourt.

Pendant la seconde moitié de 1424 et la première moitié de 1425, les bandes de ces trois grands feudataires infestèrent à l’envi la châtellenie de Vaucouleurs, et Jean de Vergy tint la campagne à la tête de cinq cents chevaux. Robert de Baudricourt n’était pas homme à endurer patiemment ces attaques ; il y répondit par de vigoureuses représailles. À plusieurs reprises, il porta le ravage en Bourgogne, ainsi que dans le bailliage de Chaumont ; ses hommes d’armes s’avancèrent au-delà de Vignory et poussèrent des reconnaissances jusqu’aux environs de Blaise. De part et d’autre, on capturait hommes, femmes, enfans pour les mettre à rançon ; on faisait main basse sur tout ce qu’on rencontrait, pain, vin, argent, vaisselle, vêtemens, gros et menu bétail ; on brûlait ce qu’on ne pouvait emporter. Dans la plupart des villages du Bassigny, le labourage fut interrompu, et presque tous les moulins furent détruits. Pour avoir une idée de ces déprédations où une soldatesque sans frein n’évacuait un village qu’après y avoir fait place nette, il faut lire le procès-verbal des dommages causés de 1431 à 1433 par la garnison de Vaucouleurs sur certaines terres de Thibaud de Neuchâtel, dépendant de sa châtellenie de Châtel-sur-Moselle. Tous les habitans notables de ces villages furent faits prisonniers et enfermés pendant trois semaines dans la forteresse de Vaucouleurs ; pour obtenir leur mise en liberté, Avrainville paya 1,000 florins ; Bainville, 1,202 florins ; Hergugney, 1,933 florins. La liste des chevaux, des bœufs, des vaches, des brebis, de la vaisselle, du linge, des vêtemens et autres objets mobiliers enlevés dans la seule commune de Bainville remplit plusieurs pages. Ces pillages étaient d’ordinaire suivis d’incendies où les malheureux qui, pour une raison ou pour mie autre, se trouvaient hors d’état de prendre la fuite, les infirmes, les malades, les femmes en état de grossesse avancée, les enfans au berceau, périssaient dans les flammes. Une ordonnance, rendue par le duc de Bar au commencement de 1425, jette le jour le plus effrayant sur la situation des gens du plat pays à cette date néfaste ; il fut défendu aux paysans, sous peine d’amende, de tenir du feu allumé dans la crainte de fournir à l’ennemi le moyen d’incendier leurs chaumières.


IV

C’est ainsi qu’une étude approfondie nous conduit à nous représenter sous les couleurs les plus sombres la situation du Barrois