Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/815

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont un peu plus grandes et plus solides ; toutefois le type n’est pas modifié.

La route sur laquelle nous roulons est très large. Quoique le milieu soit macadamisé, les paysans et même notre cocher préfèrent rouler sur les accotemens ; c’est qu’ici, l’été, l’argile, tassée et durcie par les pieds des chevaux, devient comme de l’asphalte. Le pays que nous traversons est plat et parfaitement cultivé. Les fromens sont les plus beaux que l’on puisse voir ; ils ont des feuilles larges comme des roseaux. Ce qui n’est pas emblavé en céréales, blé ou avoine, est occupé par des maïs ou par la jachère ; pas de fermes éparpillées dans les campagnes. Les maisons des cultivateurs sont groupées dans les villages. C’est le Dorfsystem, comme disent les économistes allemands. Ce groupement a deux causes : d’abord la nécessité de se réunir pour se défendre ; en second lieu, l’usage ancien de répartir périodiquement le territoire collectif de la commune entre ses habitans. Si, dans certains pays, comme en Angleterre, en Hollande, en Belgique, dans le nord de la France, les bâtimens d’exploitation sont placés au milieu des champs qui en dépendent, c’est que la propriété privée et la sécurité y existent depuis longtemps.

L’élégant attelage qui nous entraine rapidement me rappelle un mot que l’on m’a conté précédemment à Pest et qui peint la Hongrie d’autrefois. Un évêque passait le Danube sur le pont de bateaux qui conduit à Bude, royalement étendu dans un beau carrosse attelé de six chevaux. C’était un comte Batthiany. Un député libéral lui crie : « Monseigneur, vous semblez oublier que vos prédécesseurs les apôtres et Jésus votre maître allaient pieds nus. — Vous avez raison, réplique le comte, comme évêque j’irais certainement à pied ; mais comme magnat hongrois, six chevaux est le moins que je puisse atteler, et malheureusement l’évêque ne peut fausser compagnie au magnat. » — J’imagine que Mgr Strossmayer donnerait une meilleure raison. Il dirait qu’il exploite en régie les terres du domaine épiscopal ; qu’il y a établi un haras dont il vend les produits ; qu’il contribue ainsi à améliorer la race chevaline et qu’il augmente la richesse du pays, ce qui est de tous points conforme aux prescriptions économiques les plus élémentaires. Elevant beaucoup de chevaux, il faut bien qu’on les promène et qu’on les dresse. Je ne m’en plains pas, car c’est plaisir de voir trotter ces charmantes bêtes, toujours gaies, heureuses de courir d’une allure de plus en plus relevée, à mesure qu’elles approchent de leur écurie.

Nous nous arrêtons quelques momens au village de Siroko-Polje, où l’abbé désire voir sa mère. Nous entrons chez elle. Veuve d’un