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gouvernement anglais a assumé la responsabilité de leur observation par l’émir. » Cette prétention est fondée ; mais combien est fragile une paix qui dépend de la conduite de nomades adonnés au pillage !

La situation actuelle est la conséquence de la faute que lord Palmerston commit, en 1838, lorsque, pour empêcher Hérat de retomber au pouvoir des Persans, il humilia et ruina la Perse et jeta pour toujours cette puissance dans les bras de la Russie. Hérat est une dépendance naturelle de la Perse ; aucune frontière apparente ne sépare son territoire du Khorassan, dont il a fait longtemps partie : population, langue, mœurs, croyances, industrie, tout est persan à Hérat. Lord Palmerston enleva donc Hérat à la seule puissance qui pût avoir de l’intérêt à conserver et à défendre cette place. Elle n’a été qu’un embarras pour les émirs de Caboul, parce que ceux-ci ont toujours dû lui laisser une indépendance presque complète, et lui donner pour gouverneur un de leurs fils ou de leurs frères pour n’avoir point de révolte à appréhender. Le fils de Shire-Ali, le vainqueur de Malwand, Ayoub-Khan, y serait encore le maître s’il n’avait essayé de renverser son cousin Abdurrhaman. Il est aujourd’hui réfugié en Perse, mais n’ayant abdiqué aucune de ses espérances, entretenant correspondance avec ses partisans et n’attendant qu’une occasion favorable ou l’appui de la Russie pour ressaisir sa principauté. Pourquoi la Russie chercherait-elle à s’emparer d’Hérat, lorsqu’il dépend d’elle d’y faire régner un allié ? mais il ne lui convient pas en ce moment de laisser accomplir la restauration d’Ayoub, parce qu’elle estime plus avantageux de tenir Abdurrhaman dans l’inquiétude que de lui donner de justes griefs.

Là est l’incurable faiblesse de la position des Anglais. Ils ne sauraient sans folie entreprendre d’annexer l’Afghanistan ; ils ont besoin de pouvoir compter absolument sur le souverain de ce pays, et il est impossible que celui-ci ne trompe pas leur confiance. Shire-Ali leur devait sa couronne ; sans leur appui, il n’aurait jamais pu triompher d’Abdurrhaman, son compétiteur ; il recevait d’eux un large subside et il finit par se déclarer contre eux et par leur faire la guerre. Ils ont rappelé Abdurrhaman de l’exil, ils l’ont mis sur le trône, ils lui ont donné Candahar ; en 1883, ils lui ont garanti ses états par un traité et lui ont assuré un subside annuel de trois millions ; peuvent-ils compter sur sa fidélité, et, à le supposer fidèle, dans quelle mesure peut-il leur être utile ?

Lorsque la guerre a paru possible et même probable, on a voulu s’assurer des dispositions de l’émir, et le vice-roi lui a fait proposer une entrevue. Abdurrhaman a hésité, il n’osait s’éloigner de sa capitale ; il n’avait personne à qui il pût, en toute confiance, laisser le pouvoir en son absence ; il appréhendait de tenter son cousin