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le gouvernement anglais éprouva trois désagrémens qui lui furent sensibles. La Russie commença par produire une carte dressée en 1873 par l’état-major général anglais, sur l’ordre de lord Kimberley, ministre de l’Inde, en vue de la proposition de délimitation qui venait d’être faite par le prince Gortchakof. Cette carte, adressée officiellement par le gouvernement anglais à ses représentans auprès des grandes puissances, faisait passer la frontière afghane à 25 milles au sud du confluent du Koushk et du Mourghab et à 19 milles au sud de Penjdeh. Les récriminations dont ce district avait été le sujet se trouvaient donc réfutées péremptoirement et d’avance par un document officiel anglais. Grâce aux habitudes écrivassières des officiers anglais, et à l’aide d’un relevé des correspondances adressées par des membres de la commission anglaise à des feuilles de Londres et surtout aux journaux de l’Inde, la Russie put démontrer que plusieurs d’entre eux avaient été loin de se renfermer dans leur rôle et n’avaient rien épargné, dans le cours de leurs explorations, pour agiter et exciter les populations. Il fut établi, en particulier, que le général Lumsden, arrivé à Sarakhs, n’avait pas rendu visite au général Komarof, qui y avait à ce moment son quartier-général, qu’il ne l’avait même pas avisé de son passage et qu’il était parti immédiatement pour Penjdeh. Il avait passé plusieurs jours dans cette localité, encourageant le commandant des forces afghanes à s’y fortifier et à s’y défendre, lui donnant des conseils techniques et lui promettant qu’il serait secouru ; qu’enfin pour prévenir toute défaillance de la part de cet officier, il avait laissé auprès de lui le capitaine Yate, dont les objurgations l’empêchèrent, en effet, de déférer aux sommations du général Komarof. On doit croire que ces révélations n’ont pas été étrangères au rappel du général Lumsden. Enfin, les négociateurs anglais mettaient sans cesse en avant les droits de l’émir et l’engagement pris par l’Angleterre de les maintenir intacts : or, l’émir, qui connaît admirablement son pays et qui ne se soucie point qu’on lui crée des embarras et des querelles dans l’avenir, a décliné très nettement toute prétention sur certains points qu’on revendiquait pour lui. De là d’inévitables concessions, que la presse de Londres stigmatise à tort comme des actes de faiblesse vis-à-vis de la Russie. « On ne peut vraiment pas, a dit avec amertume un des négociateurs anglais, se montrer plus Afghan à Londres qu’on ne l’est à Caboul. »

L’issue pacifique des négociations ne saurait être douteuse. La Russie n’a aucun intérêt à ce qu’un changement de ministère ait lieu en Angleterre : elle ne demande pas mieux que de faciliter au cabinet actuel une paix honorable : elle lui a fait spontanément la concession de reporter sa frontière à 30 ou 40 milles au nord des monts Barkhout ;