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aussitôt que possible. » Il est certain que, pour le but que la Russie se proposait, il lui suffisait de la soumission des Turcomans de Merv : d’ailleurs, les généraux russes faisaient remarquer qu’en face d’Askabad, il existe dans la chaîne du Kuren-Dagh une trouée qui mène à Kouchan, dans la riche et fertile vallée du Keshef ; et de Kouchan une route carrossable, plusieurs fois suivie par les armées persanes, conduit à Meshed, la ville sainte, et de Meshed à Hérat. L’alliance avec la Perse mettrait toujours cette route à la disposition des forces russes. Lord Granville ne se tint pas pour satisfait des déclarations du gouvernement russe ; il lui fit demander des explications précises, et le 22 février 1882, il écrivait à l’ambassadeur anglais à Saint-Pétersbourg : « Le prince Labanof vient de recevoir la réponse de son gouvernement. Celui-ci reconnaît et considère comme étant encore en vigueur l’engagement pris autrefois par le prince Gortchakof, et qui place l’Afghanistan en dehors de la sphère d’influence de la Russie. Néanmoins, cet engagement, ainsi que je l’ai dit, est incomplet, et le gouvernement russe est prêt à le compléter par un règlement de la frontière de l’Afghanistan depuis le point où elle a été laissée incertaine jusqu’à Sarakhs. » La Russie, qui avait déjà émis cette idée en 1873, insista, cette fois, pour sa réalisation. Sir Edward Thornton écrivait de Saint-Pétersbourg à lord Granville, le 29 avril 1882 : « M. de Giers m’affirme que la Russie n’a, quant à présent, aucune intention d’avancer dans la direction de Sarakhs ou de Merv, ni d’occuper avec ses forces, dans cette région, aucun territoire en dehors de ce qui est déjà en sa possession. M. de Giers a ajouté qu’en vue de prévenir des troubles sur les confins de l’Afghanistan, il regarde comme de grande importance que la frontière de ce pays, de Khoja-Saleh à la frontière persane, aux environs de Sarakhs, soit formellement et définitivement fixée, et qu’il a donné pour instructions au prince Labanof de ne rien négliger pour amener le gouvernement anglais à l’adoption de mesures à cet effet. » Cette dépêche anglaise a une importance capitale, à cause des deux conclusions qui en découlent irrésistiblement. Elle prouve, en premier lieu, que c’est la Russie qui a insisté itérativement pour une délimitation précise de la frontière de l’Afghanistan, tandis que, si elle avait eu les projets ambitieux dont on l’accuse, elle avait tout intérêt à laisser cette frontière dans le vague. Il en résulte, en second lieu, que l’arrivée de troupes russes à Sarakhs ne constituait pas un empiétement sur le territoire afghan, puisque la Russie avait indiqué, sans protestation de la part de l’Angleterre, les environs de Sarakhs comme la limite extrême de l’Afghanistan du côté de la Perse.

Pourquoi le gouvernement anglais mit-il si peu d’empressement