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anglaise du service à court terme (short service), il faut compter que tous les ans 8 à 10,000 hommes arrivent au terme de leur engagement et demandent à être rapatriés, les rengagemens dans l’Inde étant extrêmement rares : il faut donc tenir toujours prêt un nombre de nouvelles recrues suffisant pour combler les vides à mesure qu’ils se créent ; et ces recrues, composées en général de jeunes gens de dix-huit à vingt ans, ne sont pas toujours assez instruites ou assez vigoureuses pour faire immédiatement un bon service. Cependant la mortalité n’est pas excessive : elle n’excède guère 1 pour 100. Quant à l’armée indigène, les corps qui la composent sont de valeur fort inégale : l’armée de Madras, qui n’a paru depuis longtemps sur aucun champ de bataille et qui n’a à faire qu’un service de garnison, passe pour n’avoir ni instruction sérieuse, ni solidité. Quelques régimens de l’armée de Bombay ont vu le feu et ont été exercés avec soin dans ces dernières années. Les régimens de l’armée du Bengale qui tiennent garnison dans le Pendjab, qui sont en contact direct et permanent avec des régimens européens, qui sont exercés avec ceux-ci et qui ont fait la dernière campagne de l’Afghanistan, constituent de bonnes troupes qu’on peut mener au feu avec confiance. On leur adresse, cependant, quelques critiques. Les Sikhs ressentent on ne sait quelle terreur superstitieuse à l’égard de l’Afghanistan, que des légendes leur représentent comme le tombeau de leur race ; il a fallu, dans la dernière guerre, toute la force de la discipline, toute l’autorité des officiers et l’exemple des régimens européens pour déterminer les régimens sikhs à s’engager dans la passe de Khyber. Les Pathans et les autres montagnards du Pendjab, avec lesquels on a formé des régimens, sont d’une bravoure à toute épreuve, mais ils sont fort indisciplinés ; ils détestent cordialement les Anglais et s’en cachent si peu que leurs officiers se tiennent pour assurés d’être trahis et assassinés par eux au premier échec. En résumé, si l’on ajoute aux 50,000 hommes qui composent la garnison habituelle du Pendjab, 30,000 ou 40,000 hommes qu’il serait possible de tirer encore de l’armée du Bengale et de l’armée de Bombay, on a le maximum des forces sérieuses que le gouvernement anglo-indien pourrait opposer à une invasion. « Nous n’avons point de seconde ligne, » écrivait douloureusement, il y a quelques mois, un des hommes qui connaissent le mieux les affaires indiennes.

Il est inutile d’insister sur l’énorme disproportion qui existe entre l’armée anglo-indienne et les forces dont disposent les princes indépendans. Cette disproportion tend à s’accroître parce que le recrutement de l’armée anglo-indienne devient de plus en plus difficile :