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reconnaissance pour les services que l’Angleterre venait de rendre à l’islam en défendant le sultan contre ses ennemis, les Sikhs marchaient avec une ardeur extrême contre les Hindous, qu’ils méprisent comme une race inférieure et qu’ils détestent comme idolâtres. Une coalition qui réunirait tous ces peuples dans une résistance commune ne sera donc pas à redouter avant bien des années, et l’Angleterre dispose aujourd’hui de moyens d’action qui lui permettent d’écraser toute révolte isolée avant qu’elle ait le temps de se propager.

Le péril est ailleurs : si les progrès de la civilisation ont créé des forces nouvelles, ils ont aussi apporté avec eux de nouveaux élémens de danger. Les petits souverains de l’Inde ne sont plus, comme autrefois, des barbares, abrutis par les jouissances matérielles, uniquement préoccupés de leurs plaisirs et ignorans de ce qui se passait au-delà de leurs frontières. La plupart ont reçu une certaine éducation et, sans qu’ils aient rien perdu de la finesse et de l’instinctive diplomatie naturelle aux Asiatiques, leurs idées se sont rectifiées et étendues au contact des Européens. Leurs ministres et leurs principaux fonctionnaires ont, en général, été élevés à l’européenne, parfois même ont visité l’Europe ; tous les enfans des grandes familles sont pourvus de précepteurs ou envoyés aux écoles. Il ne faut donc plus compter sur l’ignorance des souverains indigènes ; ils en savent assez pour ne plus risquer leur couronne dans une lutte inégale, mais ils n’en ont qu’un souci plus vif et plus constant de leur indépendance. Le commandement militaire est, aux yeux des peuples orientaux, l’attribut essentiel de la souveraineté : aussi, tous les princes indiens, à quelque race qu’ils appartiennent, ont-ils à cœur d’avoir une armée à eux et ils s’imposent pour la créer et l’entretenir des sacrifices souvent hors de proportion avec leurs ressources. Ils font instruire cette armée à l’européenne, ils lui donnent des armes perfectionnées, et quelques-uns s’attachent par-dessus tout à la pourvoir d’une artillerie puissante et bien organisée. Il est à remarquer que les Hindous ont une aptitude particulière à devenir d’excellens pointeurs, et le fait est si avéré que l’Angleterre a renoncé à recruter des soldats d’artillerie parmi les indigènes, de peur de faire acquérir à ceux-ci une dangereuse habileté : depuis plusieurs années, l’artillerie de l’armée anglo-indienne se compose exclusivement de soldats européens.

Les états indigènes auxquels l’Angleterre a laissé une autonomie plus ou moins complète comptent ensemble un peu plus de 50 millions d’âmes, soit un quart de la population totale de l’Hindoustan. Les royaumes hindous, parmi lesquels le Nizam tient le premier rang comme étendue et comme population, ont ensemble 27 millions d’habitans, et leurs armées réunies constituent une force de