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constater seulement les immenses services dont la métropole lui est redevable ; il convient de louer aussi la constante sollicitude qu’elle a montrée pour les populations dont le sort dépend d’elle. L’Angleterre a fait partout dans l’Inde œuvre de civilisation et de progrès : qu’elle ait été conduite dans cette voie par une intelligente appréciation de son propre intérêt, les résultats n’en sont ni moins féconds ni moins dignes d’éloge. L’Inde était décimée par des famines périodiques ; l’Angleterre s’est imposé de lourds sacrifices pour conjurer le retour de ce fléau par l’établissement de canaux et de voies ferrées qui permettent aux céréales des provinces où la récolte a été bonne d’arriver promptement et économiquement dans les régions où l’excès de la sécheresse a stérilisé la terre. Elle a sillonné le territoire de l’Inde de chemins de fer qui sont, sans aucun doute, des instrumens de domination et dont le tracé a été déterminé par les considérations stratégiques, mais qui n’en contribuent pas moins à développer les relations et la prospérité des régions traversées. Le maintien seul de la tranquillité serait déjà un immense bienfait pour un pays que désolaient autrefois les luttes incessantes des petits potentats indigènes ; mais l’Angleterre y a ajouté encore la sécurité dans les relations commerciales et l’impartialité dans l’administration de la justice. Enfin, elle n’a rien négligé pour favoriser la diffusion de l’instruction à tous les degrés : de nombreuses écoles préparent les sujets parmi lesquels elle recrute les auxiliaires de son administration et ses fonctionnaires inférieurs ; des établissemens de haut enseignement sont également ouverts aux enfans des dignitaires indigènes. La justice commande de reconnaître que l’Angleterre n’a négligé dans l’Inde aucune des obligations d’un gouvernement civilisé.

L’harmonie parfaite avec laquelle fonctionne cette immense organisation ne doit pas cependant nous faire illusion et nous en cacher la fragilité. L’empire anglo-indien s’est fondé et il se maintient surtout grâce à l’antagonisme des races qu’il embrasse et que l’Angleterre oppose habilement les unes aux autres. Tous ces peuples entre lesquels aucune fusion ne s’est faite et qui sont demeurés juxtaposés sur le sol indien, sont séparés les uns des autres par leurs origines, par leur religion, souvent par la langue et toujours par les traditions d’un passé encore récent ; ils conservent les sentimens d’hostilité qui les animaient et les mettaient aux prises avant que l’Angleterre leur eût imposé la paix à tous, et ils continuent de se haïr les uns les autres plus qu’ils ne détestent l’étranger. On en a eu mainte preuve, et la plus irréfutable de toutes est ce qui s’est passé lors de la révolte des cipayes. C’est la fidélité des troupes sikhes et des Gourkas qui a sauvé l’empire anglo-indien ; tandis que les musulmans refusaient de se joindre à l’insurrection par