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au-dessous de ses moyens de défense. Il est des puissances qui peuvent croire qu’elles n’ont rien à redouter de ses atteintes. En entendant discuter les probabilités d’un conflit entre la Russie et l’Angleterre, M. de Bismarck a-t-il réellement dit que ce serait le duel de la baleine et de l’éléphant ? Le mot serait aussi juste qu’il est pittoresque. Le peu de profondeur de la Baltique met les côtes de la Russie à l’abri de toute attaque dangereuse. Pendant la guerre de Crimée, le plus entreprenant des amiraux anglais, sir Charles Napier, qui avait promis de ne revenir à Londres qu’après avoir-brûlé la (lotte russe, ne put tenter aucune opération contre Cronstadt. L’entrée de la Mer-Noire est interdite par les stipulations du traité de Berlin, qui ont rendu la fermeture des détroits plus impérative et plus rigoureuse. L’Angleterre décidât-elle la Turquie à jouer son existence dans une guerre contre la Russie, si les voisins de celle-ci gardaient la neutralité dans une querelle qui ne les toucherait point, est-ce le bombardement d’Odessa, de Sébastopol ou de Batoun qui exercerait quelque influence sur les déterminations du tsar ? Si les détroits demeuraient fermés, où l’Angleterre pourrait-elle atteindre son ennemie, à moins de faire brûler quelques villages de la côte sibérienne ?

Après ce coup d’œil sur les forces de la métropole, nous allons étudier la situation de ses diverses possessions et les dangers qui les peuvent menacer.


II

L’organisation de l’empire anglo-indien est le chef-d’œuvre de la politique anglaise. Bien de comparable ne s’était vu depuis le temps où le sénat de Borne transformait en sujets dociles et soumis les peuples les plus récemment conquis. Une aristocratie éclairée, persévérante dans ses desseins, infatigable dans son action, pouvait seule obtenir le résultat prodigieux auquel l’Inde nous fait assister. Du cap Comorin aux sommets de l’Himalaya et aux montagnes du Thibet, une population de 190 millions d’âmes, répandue sur un territoire de 1,500,000 milles carrés, suit docilement l’impulsion qui lui vient d’un petit coin de l’Europe. Ce n’est point là l’œuvre de la force, mais le triomphe de l’intelligence, car tous les rouages de cette immense administration sont conduits par un corps de deux ou trois mille fonctionnaires recrutés, il est vrai, parmi l’élite de la jeunesse anglaise, préparés à leur tâche par de fortes études, éprouvés par des examens sérieux, et façonnés à loisir par des chefs expérimentés, à l’abri des vicissitudes de la politique. Ce serait rendre incomplètement justice à l’administration anglaise que de