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Il est encore, pour elle, une autre conséquence de l’emploi de la vapeur qui devient chaque jour plus manifeste : c’est la multiplication des points vulnérables qu’elle offre à un ennemi. Il n’y a, dans aucune des marines actuelles, un bâtiment de guerre de haut bord qui puisse naviguer plus de huit ou dix jours consécutifs sans épuiser complètement sa provision de combustible. Le temps n’est plus où Nelson pouvait aller jusqu’aux Antilles chercher vainement la flotte française et revenir en Europe à temps pour la rencontrer et lui livrer combat. Il faut que l’Angleterre, à raison du nombre de ses colonies et de l’extension de ses intérêts commerciaux, établisse dans toutes les régions du globe des dépôts de charbon. C’est ainsi que la guerre entre la France et la Chine l’ayant obligée à entretenir une escadre dans la Mer-Jaune, elle a dû acquérir le droit de créer un dépôt de charbon dans l’île de Quielpart, à l’extrémité de la Corée. Cela ne suffit pas : du jour où elle a à appréhender un conflit avec une puissance maritime, il faut encore qu’elle organise la défense de ces dépôts de charbon pour qu’ils ne puissent servir à ses adversaires. L’apparition d’une puissante escadre française dans la mer de Chine a causé une véritable panique dans tous les établissemens anglais de l’extrême Orient. Les autorités de Singapour ont accablé le gouvernement anglais de pétitions en exposant qu’un seul des vaisseaux de l’amiral Courbet aurait aisément raison de toutes les défenses de la place et pourrait, sous la menace d’un bombardement, se faire livrer ou détruire tout le charbon destiné à la marine anglaise. Des appréhensions non moins vives se sont manifestées à Hong-Kong : après avoir voté une subvention de 500,000 livres sterling pour la mise en défense de l’île, l’assemblée coloniale a protesté par deux fois contre l’insuffisance des fortifications élevées par le génie militaire et contre le faible calibre de l’artillerie de rempart expédiée d’Angleterre ; elle a menacé de revenir sur le vote de la subvention si la métropole n’assurait pas la sécurité de l’île par des ouvrages et un armement plus en rapport avec les progrès de l’artillerie. On retrouverait la trace des mêmes inquiétudes dans les délibérations de plusieurs assemblées coloniales.

Il sera d’autant plus nécessaire de fortifier tous ces dépôts de charbon que, s’ils aideront à la défense des possessions anglaises, ils appelleront, par cela même, les attaques d’un ennemi : ils constituent autour du globe une chaîne sans fin dont il suffirait de briser un anneau pour détruire la solidité de tous les autres. Néanmoins, l’Angleterre conserve une force défensive considérable. Si son influence dans le monde a diminué, si son alliance n’est plus prisée au même degré que par le passé, c’est qu’elle n’a point d’armée à embarquer sur ses vaisseaux et que sa force d’agression semble