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et ses ressources entre son armée et sa flotte, elle ne pouvait mettre sa marine au niveau de celle de l’Angleterre : pourvu que nos voisins conservassent la supériorité quant à la force des équipages et au nombre des bâtimens, leur sécurité était complète.

Si l’application de la vapeur à la navigation, en réduisant notablement le nombre des hommes nécessaires à la manœuvre des bâtimens, a affaibli l’importance d’un des élémens de supériorité possédés par l’Angleterre, cette puissance a trouvé une compensation dans la dépense énorme qu’entraîne la construction des vaisseaux cuirassés. Le chancelier de l’échiquier est le seul ministre des finances qui puisse inscrire sans hésitation, au budget de la marine, 15 et 20 millions pour un seul bâtiment. Quelque lourd, cependant, que soit devenu le fardeau des constructions navales, des puissances dont la marine ne comptait pas autrefois ont voulu avoir une flotte de guerre. L’Italie s’est imposé, pour cela, des sacrifices hors de proportion avec ses ressources financières ; l’Allemagne a fait, de son côté, un grand effort et a promené son pavillon jusque dans les mers les plus lointaines. Une coalition sur mer est donc redevenue possible, comme au temps où les flottes combinées de la France et de l’Espagne tenaient en échec celles de l’Angleterre. Le problème s’est ainsi compliqué pour cette puissance ; il ne suffit plus pour sa sécurité que sa marine soit plus forte que la marine française, il faut qu’elle soit supérieure à deux marines européennes quelconques. L’est-elle vraiment aujourd’hui ? Les doutes qui ont été émis à cet égard par quelques-uns des hommes les plus compétens ont causé de vives alarmes. Un ancien directeur des constructions navales, sir Edward Reed, s’est mis à la tête d’une véritable campagne contre l’amirauté. Un des censeurs de celle-ci, partant de ce principe que la force d’un bâtiment peut se mesurer par le déplacement d’eau qu’il opère, a additionné le tonnage des bâtimens de guerre de la France et de l’Angleterre, et il en a conclu que la flotte française était plus puissante que celle de son pays. Un amiral a taxé d’infériorité l’artillerie navale anglaise, qui n’aurait pas été tenue au niveau des derniers progrès dans l’art de la destruction. Un autre critique a prétendu que les vaisseaux construits d’après les nouveaux plans adoptés par l’amirauté sont incapables de tenir la mer et qu’ils s’ouvriront en deux sous l’effort de leurs machines et de leur artillerie. Ces cris d’alarme, dont l’exagération est sensible, n’en ont pas moins produit une profonde impression sur l’opinion publique, qui a imposé au gouvernement et au parlement une augmentation notable du budget de la marine.

La suprématie navale dépend-elle uniquement du nombre des bâtimens de guerre qu’un état possède ? Ne faut-il pas tenir compte de leur puissance de destruction et de la variété des services qu’ils