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effectif prévu à 46,500. Vient enfin l’armée régulière. Les régimens employés dans l’Inde comptent 58,826 hommes, bien que les cadres en comportent 61,597, soit près de 3,000 de plus. Il s’en faut également de 2,000 hommes que les autres régimens aient leur effectif réglementaire : ils ne comptent que 129,831 hommes, officiers compris, au lieu de 131,709. Ce sont ces derniers régimens qui doivent fournir les 30,000 hommes stationnés en Irlande depuis les derniers troubles, ainsi que les garnisons que l’Angleterre entretient dans les plus importantes de ses colonies et à Gibraltar, Malte et Chypre. On voit à quoi se réduisent, en réalité, les forces dont l’Angleterre peut disposer dans un cas imprévu. Lorsque le cabinet actuel, a voulu envoyer en Égypte un corps d’armée suffisant pour réprimer la révolte d’Arabi, et lorsqu’il a organisé, en 1884, l’expédition qui vient d’échouer au Soudan, il a été dans la nécessité de faire déclarer, par une proclamation royale, « qu’il y avait imminence d’un péril national, » parce que cette proclamation lui conférait le droit de retenir sous les drapeaux les hommes dont le temps était expiré et de rappeler au service les hommes de la réserve de première classe. Il s’est vu, de plus, dans la nécessité de faire partir pour l’Égypte les régimens de la garde, les seuls qui soient toujours tenus au complet de guerre, parce que les régimens demeurés en Angleterre étaient composés, en grande partie, de recrues trop peu exercées et surtout trop jeunes pour supporter les fatigues d’une campagne sous le tropique. Si un conflit avec une grande puissance nécessitait un effort plus considérable, il faudrait demander au parlement l’autorisation de mettre la milice sur le pied de guerre et de l’employer en dehors du territoire britannique. Ce n’est donc pas obéir à un esprit de dénigrement que d’estimer que l’Angleterre ne peut être considérée comme une puissance militaire.

Elle conserve incontestablement le premier rang comme puissance maritime. Toutefois, sa suprématie sur mer n’est plus aussi absolue que dans le passé, les conditions de cette suprématie ayant sensiblement changé. Jusqu’à une date assez récente, l’Angleterre croyait n’avoir à tenir compte que de la marine française. La marine russe, dont une moitié ne peut sortir de la Mer-Noire, dont l’autre moitié est emprisonnée par les glaces pendant une partie de l’année, n’était considérée que comme un article de luxe ; son rôle dans une guerre maritime ne pouvait être que très secondaire, et la guerre de Crimée en a fourni la preuve. La France seule, assise à la fois sur l’océan et sur la Méditerranée, était une puissance maritime sérieuse ; mais, obligée de tenir sur pied des forces en rapport avec celles des autres puissances continentales, et de partager ses efforts