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Cependant, la presse de Londres, en les reproduisant et en les commentant, laissa percer une impression de surprise. Il est impossible, en effet, de ne pas se dire que lord Palmerston n’a jamais eu besoin de tenir un pareil langage, et que jamais il ne lui serait venu à la pensée de rassurer ses compatriotes sur l’avenir de l’Angleterre, Mais aussi, dans tout le cours de sa longue carrière, il n’avait pas vu les souverains des trois grands empires du Nord se réunir et délibérer sur les affaires de l’Europe sans convier à leurs conseils le souverain de la Grande-Bretagne et sans faire part au cabinet de Saint-James de leurs projets et de leurs résolutions ; il n’avait pas vu une conférence diplomatique, convoquée à Londres même, sur l’initiative du gouvernement anglais, avorter et se séparer sans qu’une seule puissance se fût ralliée aux propositions de l’Angleterre ; il n’avait pas vu une autre conférence se réunir à Berlin et la presse allemande assigner pour but à celle-ci de soumettre au contrôle de l’Europe et d’assujettir à des règles l’expansion de la puissance anglaise au dehors. Non-seulement l’Europe avait eu ce spectacle avant le discours de Birkenhead ; mais, depuis lors, les parlemens d’Angleterre et d’Allemagne ont retenti, l’un des objurgations hautaines et acerbes de M. de Bismarck, et l’autre, des explications déférentes de lord Granville. Il semble donc que nous assistions, tout au moins, à une éclipse de l’influence anglaise. La puissance de cette grande nation serait-elle sur son déclin ? quelles en seraient les causes ? quels élémens de faiblesse recelait-elle ? quels élémens de vitalité et de force conserve-t-elle encore ?


I

La position insulaire de l’Angleterre est pour elle, tout à la fois, une cause de force et de faiblesse. La sécurité qu’elle doit à ce « ruban argenté » que ses poètes et ses orateurs ont si souvent célébré, est compensée par l’impossibilité d’une action directe sur les autres peuples. Si l’Angleterre n’a point d’invasion à redouter, elle est hors d’état d’en tenter aucune. Sa population s’est déshabituée du métier des armes ; si elle a gardé le courage, elle a perdu l’esprit militaire ; le service du pays est devenu pour elle la profession de ceux-là seulement qui ne s’en peuvent créer une autre ; tournée vers le commerce et la navigation, l’Angleterre, comme autrefois Carthage, est une puissance essentiellement maritime : il ne serait pas surprenant qu’après avoir rappelé l’éclat de la grandeur carthaginoise, elle en rappelât aussi la fragilité. Toutes deux ont couvert la mer de leurs flottes, et toutes deux soumis à leur domination des pays lointains" ; toutes deux ont eu ce désavantage de n’agir