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crime au ministère d’un dénoûment pacifique qu’ils désiraient. Ils ne lui reprochent bien sérieusement ni sa modération avec la Russie, ni même l’abandon du Soudan, et un des chefs conservateurs, lord Salisbury, qui s’était laissé aller dans une réunion de province à prononcer quelques paroles un peu vives sur le gouvernement russe, s’est hâté tout récemment de faire amende honorable devant la chambre des lords, — sans doute en prévision d’un retour des tories au pouvoir. L’opposition ne ferait probablement aujourd’hui que ce que fait le ministère ; mais les partis profitent d’une situation difficile, des échecs de la politique extérieure des libéraux, des mécomptes et des malaises que les fautes, les contradictions du gouvernement ont infligés à l’opinion. Ils saisiront, on peut bien le croire, toutes les occasions de créer des embarras au cabinet, de lui susciter des incidens comme cette scène récente au sujet de laquelle M. Gladstone disait avec un mélange d’impatience et de haute mélancolie, que a de pareils incidens sont de peu d’importance pour quelqu’un dont l’intervention dans les affaires publiques est désormais mesurée plutôt par des semaines que par des mois, et assurément par des mois plus que par des années. » Le cabinet de M. Gladstone n’a été sauvé jusqu’ici que par la réforme électorale ; cette question une fois résolue, il reste aux prises avec toutes les difficultés parlementaires. D’un autre côté, le ministère anglais ne peut se dissimuler que par la manière dont il a conduit les affaires depuis quelque temps il s’est créé des relations assez embarrassées en Europe ; il a eu successivement des démêlés plus ou moins graves avec l’Allemagne pour les questions coloniales, avec la France pour l’Égypte, avec la Russie pour la frontière asiatique. Il le sait, il sent naturellement sa position, il éprouve le besoin d’en sortir, et c’est là sans doute le secret du voyage d’un de ses membres, lord Rosebery, envoyé récemment à Berlin, auprès du chancelier allemand.

Lord Rosebery a-t-il une mission précise, et quel serait l’objet de cette mission ? Sans rien savoir, on peut aisément présumer que le ministre anglais, connu pour ses rapports personnels avec le chancelier ou avec son fils, a été chargé d’interroger M. de Bismarck, de voir ce que l’Angleterre peut attendre de lui dans le règlement des affaires qui restent en suspens en Asie, en Afrique ou en Europe. C’est là sans doute le secret du voyage d’exploration de lord Rosebery ; mais de toutes les explications la plus bizarre, la moins justifiée devrait être certainement celle qui attribue à cette mission le caractère d’un acte de défiance ou de précaution, ou même, d’hostilité à l’égard de la France. S’il y a eu entre les deux pays quelques difficultés ou quelques dissentimens, qui donc les a créés ? D’où sont-ils venus ? La France a pu défendre ses intérêts en Égypte, elle a sûrement toujours attaché un juste prix à l’alliance de l’Angleterre, et au lieu de se livrer à de tristes et irritantes polémiques, les journaux anglais feraient mieux