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transport de ces vins de lourdes charrettes, attelées parfois d’une douzaine de chevaux. Par la même voie, arrivaient de Flandre en Bourgogne les draps d’Ypres et de Gand. Le mouvement des voyageurs allait de pair avec celui des marchandises, et parmi les personnages de marque qui durent suivre plus d’une fois cette route pendant les jeunes années de la Pucelle, on peut citer Colette Boylet, de Corbie, la grande réformatrice des clarisses, dont la vie se passa en allées et venues entre les maisons soumises à sa règle dans son pays natal et celles qu’elle avait fondées en Bourgogne. Tout ce transit passait devant le seuil de l’habitation de Jacques d’Arc. À une époque où les nouvelles de tout genre se transmettaient de vive voix et au moyen de messagers, il n’est pas sans intérêt de constater que la chaumière où naquit et où vécut Jeanne se trouvait sur le bord de l’une des voies les plus fréquentées de la région orientale du royaume, au XVe siècle.


III

Née en 1412, Jeannette d’Arc avait huit ans à l’époque du traité de Troyes signé le 20 mai 1420. Par ce traité qu’Isabeau de Bavière avait imposé à la démence de Charles VI, avec la complicité de Philippe, duc de Bourgogne, Henri V, roi d’Angleterre, était proclamé régent et reconnu comme l’héritier légitime, au mépris des droits du dauphin Charles ; une reine, une mère déshéritait son propre fils au profit du plus mortel ennemi de son pays ; la jeune Catherine, fille du roi de France, donnée en mariage au conquérant, était comme le gage de cet infâme marché. Les pompes de ce mariage se déployèrent en une saison de l’année où des foires alors très importantes avaient attiré dans la capitale de la Champagne un immense concours de peuple. Un tel spectacle aurait inspiré du dégoût à des indifférens ; comment n’aurait-il pas soulevé l’indignation et exalté encore le patriotisme des Champenois, restés fidèles au dauphin ! Les femmes, surtout, rougirent en pensant qu’une personne de leur sexe avait pu méconnaître à ce point ses devoirs d’épouse et de mère, et l’on commença alors à répéter dans les provinces orientales du royaume le dicton rapporté par Jeanne : Une femme a perdu la France ; une femme la sauvera.

Une des conséquences du traité de Troyes fut l’occupation de la Champagne par les envahisseurs. Il est certain, malgré les assertions contraires de plusieurs historiens de Jeanne, qu’à partir de cette date, les Anglais se rendirent absolument maîtres du bailliage de Chaumont. Les principales forteresses du Bassigny, notamment Nogent-le-Roi et Montigny-le-Roi, reçurent des garnisons ennemies. Les registres du trésor des Chartes, conserves à nos Archives