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l’indépendance et la sérénité de son esprit ; il s’est exposé à toutes les confusions, à toutes les contestations vulgaires. Dans tous les cas, Victor Hugo s’était fait, avec quelques faiblesses, avec beaucoup de chimères d’imagination et d’aspirations vagues, une politique qui n’était qu’à lui et qui disparaît avec lui. Il ne représentait que lui-même, il restait Victor Hugo, et, ce qu’on n’a vraiment pas le droit de faire, c’est de mettre la main des partis et des sectes sur un tel génie, de prétendre l’enrôler sous le drapeau de médiocres passions.

M. le président Le Royer avait dit sagement, dès le premier jour, au sénat : « La gloire de Victor Hugo n’appartient à aucun parti, à aucune opinion, elle est l’apanage et l’héritage de tous… » M. le président de la chambre des députés ne s’est pas contenté de ce généreux et impartial hommage ; il a voulu faire du nom de Victor Hugo la propriété de la république et il a presque transformé en poète républicain inavoué le jeune homme inspiré qui chantait, il y a soixante ans, les funérailles de Louis XVIII et, il y a quarante ans, le retour des cendres de l’empereur. C’était déjà altérer le caractère des « obsèques nationales » qu’on préparait au poète. Bientôt les passions extérieures sont allées plus loin ; elles ont bruyamment réclamé la « laïcisation » de l’église de Sainte-Geneviève, l’apothéose de Victor Hugo au Panthéon rendu aux « grands hommes, » — et le gouvernement, malgré des hésitations apparentes au premier moment, s’est empressé de se rendre à ce vœu. Il en résulte que ces funérailles d’un grand poète, qui devaient avant tout rester « nationales, » ont pris par degré une couleur de parti et même de secte. Elles devaient être un solennel et juste hommage au génie ; elles risquent de n’être qu’une vaste et bruyante manifestation. Il ne s’agit pas, bien entendu, de discuter pour le moment la légalité du décret improvisé qui change une fois de plus la destination du monument connu tour à tour sous le nom d’église de Sainte-Geneviève et sous le nom de Panthéon. On a voulu, dit-on, rendre à Victor Hugo des honneurs dignes de son nom et de sa gloire universelle ; mais la meilleure manière de rendre des honneurs intelligens et respectueux eût été certainement de commencer par faire la paix autour de ce tombeau qui n’est pas encore fermé, de s’inspirer des paroles de M. le président du sénat en laissant « à toutes les opinions, à tous les partis, » la mémoire d’un homme qui, après tout, par les diverses phases de sa vie, peut être revendiqué par tout le monde. Était-il donc si habile de froisser dans ses sentimens, dans ses croyances une partie du pays, d’attrister et d’éloigner tous ceux qui ne demandaient pas mieux que de s’associer au deuil d’une gloire française, à un hommage national ? C’était par trop montrer que ce qu’on voulait honorer, c’était moins le poète admiré de tous que l’homme de parti dont quelques politiques et quelques sectaires prétendaient se servir. A qui a-t-on cru devoir, en effet, donner cette