Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 mai.

Par quel phénomène singulier les siècles qui se succèdent semblent-ils reproduire dans leur cours les invariables et éternelles phases de la vie humaine ? Plus que jamais aujourd’hui, décidément, ce siècle-ci en est sous toutes les formes à la vieillesse et au déclin, à l’épuisement de toute sève libérale et généreuse, après avoir eu sa jeunesse pleine d’éclat, sa sérieuse et forte maturité. Ce n’est là, dira-t-on, qu’une illusion, une apparence qui trompe notre faiblesse et abuse notre raison découragée ; rien ne s’arrête, rien ne décline, tout change et se transforme, tout se renouvelle sans cesse dans la vie universelle, dans le monde des intelligences comme dans le monde de la nature physique. — Si ce n’est qu’une apparence, elle ressemble terriblement à la réalité, et cette réalité est plus saisissante encore quand disparaît subitement un de ces hommes dont l’existence s’est confondue à toutes les heures avec la vie de leur temps. C’est le destin de cet éminent génie qui vient de s’éteindre comblé d’années et de gloire, dont la mort semble marquer la fin d’une époque. C’est le privilège rare et exceptionnel de Victor Hugo d’avoir été pendant soixante ans le poète inspiré des sentimens, des cultes, des ardeurs généreuses, des entraînemens de son siècle, d’être resté un des derniers survivans des anciennes générations, comme un témoin d’un autre âge et de paraître emporter avec lui tout un monde où il a régné par la magie souveraine de l’imagination. Il s’éclipse aujourd’hui au terme de cette éclatante carrière qui va des Odes et Ballades à la Légende des siècles, et si sa mort est si vivement ressentie en France, si l’émotion qu’elle cause semble partagée plus ou moins dans tous les pays, c’est que ce n’était pas un