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artiste est précisément l’œuvre de la critique et de l’histoire littéraires.

On fait pis que de l’oublier, on le nie, quand on demande aux œuvres de la littérature et de l’art des renseignemens qu’elles ne nous donnent d’ailleurs, comme le constatait M. Taine, avec un peu de surprise, que tout à fait occasionnellement. Mais était-ce bien la peine de se tant moquer de ceux qui demandaient ce que « prouve » un chef-d’œuvre, pour en aboutir soi-même à demander aujourd’hui ce qu’il contient d’enseignement historique ? On a changé d’erreur, et voilà tout, mais, dans l’un comme dans l’autre cas, on se trompe, on s’est trompé sur la nature de l’œuvre littéraire, et tout le progrès, finalement, consiste à avoir érigé le principe d’erreur lui-même en principe de méthode et loi de la critique. C’est de quoi j’en veux à nos admirateurs outrés de la poésie du moyen âge. Ils ont beau dire, ils ont beau croire, ils en aiment surtout ce qu’elle a de moins littéraire, et ils l’admirent surtout pour ses imperfections, qu’ils appellent sa naïveté : novitas tum florida mundi ; ou encore, d’un mot ingénieusement trouvé pour lui faire autant de vertus de ses défauts eux-mêmes, sa spontanéité. « Le moyen âge est une époque essentiellement poétique. J’entends par là que tout y est spontané, primesautier, imprévu : les hommes d’alors ne font pas à la réflexion la même part que nous ; ils ne s’observent pas, ils vivent naïvement, comme les enfans, chez lesquels la vie réfléchie que développe la civilisation n’a pas encore étouffé la libre expansion de la vitalité naturelle. »

Entendez-vous bien ce que cela veut dire, ô lecteurs, en bon français de tous les jours ? Vous ne chercherez dans nos Mystères ou dans nos Chansons rien de conforme à l’idée que les modèles vous ont donnée du drame ou de l’épopée, car vous ne l’y trouveriez point, mais vous ne les en louerez pas moins pour ce qui s’y trahit de naïveté naturelle. De même que les enfans, auxquels on les compare, s’il leur vient à l’esprit une sottise ou une énormité, nos vieux conteurs n’hésitent pas à la dire ou plutôt la lâcher telle quelle ; n’est-ce pas admirable ? Quand ils essaient de mettre l’ancien ou le Nouveau-Testament en forme de Mystère, ils sont si neufs à ce métier que, toutes les fois qu’ils passent à côté d’une « situation » dramatique, on peut être assuré qu’ils la manquent : qui ne serait touché de cette preuve de simplicité ? Ou bien encore, s’il ne leur arrive jamais d’amener à l’exécution les excellentes intentions dont ils sont assez animés, quel bon patriote ne leur saurait gré de les avoir eues tout de même, et d’avoir hardiment tenté plus qu’ils ne pouvaient ? L’est ainsi qu’on leur fait un mérite, non-seulement des qualités qu’ils n’ont pas eues, mais encore de ce que, partout ailleurs, on reprendrait comme un défaut. On a pour eux ce genre d’admiration