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aurons l’occasion d’indiquer bientôt la part d’influence que ces rapports entre Sermaize et Domremy purent avoir sur le développement des idées, des sentimens et partant sur la destinée de Jeanne d’Arc.

Quelle était la situation de fortune, quelle était la position sociale des parens de Jeanne d’Arc ? Interrogés sur cette question, les gens du pays, appelés à déposer dans l’enquête ouverte au cours du procès de réhabilitation, firent tous la même réponse : ils dirent que le père et la mère de la Pucelle étaient de modestes cultivateurs et ne possédaient avec leur chaumière qu’un modique patrimoine. D’après une note rédigée à l’aide de pièces et de traditions de famille, note transmise par l’abbé Mandre, curé de Damvillers (Meuse), mort vers 1820, à son neveu M. Villiaumé, père de l’historien de Jeanne d’Arc et de la révolution, les biens immeubles appartenant à Jacques d’Arc et à Isabelle Romée représentaient environ 20 hectares, dont 12 en terres, 4 en prés et 4 en bois et parmi ces derniers le « bois Chesnu ; » ils avaient de plus leur maison, leur mobilier et une réserve de 200 à 300 francs qu’ils entretenaient avec soin en prévision d’une fuite devant quelque invasion telle que celle qu’ils furent obligés de faire à Neufchâteau. En mettant eux-mêmes en valeur ce qu’ils possédaient, ils en pouvaient tirer un revenu annuel équivalant à 4 ou 5,000 francs de notre monnaie, ce qui leur permettait de distribuer des aumônes aux pauvres, malgré la modicité de leur patrimoine, et de donner l’hospitalité aux moines mendians ainsi qu’aux voyageurs qui passaient souvent dans ce pays.

Si ces évaluations ne sont pas rigoureusement exactes, elles nous paraissent du moins très vraisemblables, quoique nous ignorions les données sur lesquelles elles reposent. Dans un registre paroissial de Domremy transcrit en 1490, on lit que Jacob d’Arc et Ysabellot sa femme avaient constitué en faveur du curé de Domremy une rente annuelle de deux gros sur une fauchée et demie de pré située au ban de Domremy, en amont du Pont, entre les héritiers Fauvrel et les héritières Girardin, à charge de célébrer chaque année deux messes pendant la semaine des Fontaines pour leurs obits et anniversaires. Outre ses biens sis à Domremy, on peut supposer que Jacques d’Arc possédait du chef de sa femme quelques morceaux de terre à Vouthon, car nous voyons par un registre des exploits de justice de la prévôté de Gondrecourt que l’aîné de ses fils nommé Jacquemin faisait dès 1425 sa résidence dans ce village du Barrois mouvant, où il exploitait sans doute le petit patrimoine d’Isabelle Piomée. Jacques d’Arc et Isabelle de Vouthon avaient trois fils, Jacquemin, Jean et Pierre, et deux filles, l’aînée nommée Catherine, la cadette Jeanne ou plutôt Jeannette, celle qui devait par son héroïsme immortaliser sa race.