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restera chrétien que par tradition. L’émigration recommença avec une nouvelle intensité ; une partie des Herzégoviniens gagna la Dalmatie ; les Bosniaques, dont les prédécesseurs au XVIe siècle, sous le nom d’Uscoques (fugitifs), étaient établis à la frontière actuelle de Croatie et de Slavonie, s’enfuirent sur la Save. Au même moment, trente à quarante mille familles serbes, attachées à l’église grecque orientale, émigrèrent de la vieille Serbie sous la direction du patriarche d’Ipek, Arzen Cservovics. L’empereur d’Autriche Léopold Ier leur donna deux lettres de privilège, la première, le 21 août 1690, la seconde, le 20 août 1691. Ces privilèges ont une grande importance, parce que Léopold, en vertu de son pouvoir royal, faisait du patriarche le chef de tous les Serbes et Rasciens dans quelque lieu qu’ils habitassent. Jusqu’en 1737, des patriarches orientaux orthodoxes restèrent à Ipek, et, en 1737, le dernier de ces patriarches, nommés patriarches serbes, Arzen Ivanonovic, se transporta à Carlovitz, un métropolitain subordonne au patriarche œcuménique de Constantinople s’étant établi depuis quelque temps à Ipek. Le patriarche d’Ipek étant auparavant le chef des Grecs orientaux de Bosnie, son successeur de droit, le métropolitain de Carlovitz s’imaginait l’être également. Cette suprématie était, en effet, conforme au droit canonique de l’église orientale, mais, en fait, après que le patriarche eut quitté Ipek, le métropolitain de Hongrie n’eut jamais d’influence en Bosnie et les vladikas (évêques) de la province ne reconnurent jamais son autorité.

La fin du XVIIe siècle fut donc, pour la Bosnie chrétienne, une époque de martyrs. Avant la conclusion de la paix de Carlovitz, les moines qui protégeaient l’émigration furent tués en masse. Mais, au XVIIIe siècle, les traités de paix de Passarovitz (1718), de Belgrade (1739), puis de Sistowa (1791) rendirent aux chrétiens la sécurité et leur assurèrent un état régulier. Dans la période pacifique qui suivit, les particuliers opulens, les marchands catholiques et orthodoxes employèrent leur fortune à fonder des églises et des établissemens pieux. Les catholiques étaient d’ailleurs aidés par la papauté et par leurs coreligionnaires de toute l’Europe ; bientôt leurs paroisses refleurirent en Herzégovine et en Bosnie. En 1735, un changement important fut encore apporté à la hiérarchie ecclésiastique ; depuis la conquête de la Slavonie par le prince Eugène de Savoie, l’évêque résidant à Diakovar, sur le territoire impérial, ne pouvant plus faire valoir son autorité sur la Bosnie restée turque, le saint-siège institua de nouveau, à côté du franciscain provincial, un vicaire apostolique extraordinaire sous la direction de la Propagande de Rome, vicaire choisi d’ailleurs le plus souvent dans l’ordre même des franciscains, en conformité avec la bulle de 1635, dont