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réussi chez les peuples de race pure, parmi les montagnards de la Bosnie, chez les habitans de la vallée de la Narenta, longtemps restés païens ; chez les habitans de l’Albanie, qui comprenaient encore plus rudement le dualisme du bien et du mal que les bogomiles bosniaques et formaient une secte patarienne particulière, Albanaises ; en Italie, le long des Alpes, chez les peuples romans et celtes ; dans la France méridionale chez les Provençaux. Mais nulle part, il n’obtint autant d’importance qu’en Bosnie, où il se confondit en quelque sorte avec la cause nationale, sous la protection des bans de Bosnie, obligés de s’appuyer sur lui pour résister à la Hongrie. Cette dernière combattait le bogomilisme au nom de la papauté. Kulin et ses successeurs le soutenaient plus ou moins clandestinement. Aussi n’est-il point étonnant que les efforts du saint-siège et de la dynastie hongroise de la maison d’Anjou ne soient point parvenus à l’extirper. Il faudrait plutôt admirer que sa victoire n’ait point été définitive, l’église catholique et l’église orientale, sans unité et sans organisation, ne pouvant lui opposer qu’un bien faible obstacle.

Cependant la lutte fut soutenue avec énergie par l’église catholique. Ce furent d’abord les dominicains, puis les franciscains, qui combattirent en son nom. Les membres de ce dernier ordre, fondé en 1208 par saint François d’Assise, acquirent vite une grande importance en Bosnie ; le désintéressement et la pauvreté dont ils faisaient profession étaient de nature à les rendre populaires. Les papes comprirent rapidement quelle force leur donnait la pratique de ces vertus, et déjà Vincent III les avait désignés pour être les premiers champions du catholicisme dans l’est. La plupart des franciscains sortaient des classes inférieures ; l’idée de nationalité leur était inconnue ; leurs études étaient toutes pratiques ; partout où ils allaient, ils apprenaient la langue du pays, et surtout dans le premier siècle de leur institution, ils faisaient preuve d’une telle discipline, d’un tel respect de leurs règles, qu’ils devenaient aisément, dans les contrées où se portait leur apostolat, l’objet de l’estime et de l’adoration générales. C’est grâce à cet ordre qu’une partie de la population bosniaque, que le goût de la richesse et la passion du pouvoir propres au clergé latin irritaient profondément, est restée catholique. On ne saurait dire en quelle année les franciscains se fixèrent en Bosnie ; mais il est de fait qu’ils y étaient déjà au milieu du XIIIe siècle. Ils y reçurent en 1326, à la place des dominicains, la direction de l’inquisition. Ils y arrivèrent au moment où l’organisation de l’église catholique venait de subir une transformation considérable. Le pape avait fait une alliance intime avec les Arpads de Hongrie, et lorsque le bon Kulin avait abjuré, du moins en apparence, le bogomilisme, l’évêché de Bosnie, séparé de la