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une question de psychologie et de pathologie, et, si antihistorique qu’elle soit, la version n’est pas antiscientifique, ce qui, du moins, doit compter à Schiller comme circonstance atténuante. « Robuste, montant chevaux à poil et fesant autres apertises que jeunes filles n’ont point accoutumé de faire, » cette bergère était une personne physiquement bien constituée. On se la figure souple, élancée, un corps d’acier trempé dans le Styx. Femme par l’émotion, par les larmes et sa grande pitié du royaume de France, elle ignorait, — le procès nous l’apprend, — certaines servitudes de son sexe :


La femme enfant malade et douze fois impur !


C’était, si l’on veut, au sens pathologique, un être d’exception ; mais ne saurait-on admettre que, le paroxysme du champ de bataille opérant, cet être d’exception puisse être, par révélation soudaine, ramené aux conditions naturelles de son sexe, jusqu’alors inconnues de lui ?

La cérémonie du sacre, son prologue et son épilogue rempliront tout le quatrième acte : d’abord, une scène entre Agnès Sorel et Claude, dont la trahison va se démasquer. Attaché à Jeanne comme son ombre, la suivant pas à pas, l’épiant, il a surpris la scène avec Lionel pendant le combat, et sa haine jalouse ne se contient plus. La Pucelle a rompu son vœu de : « Mort aux Anglais ! » Agnès le fait parler ; il raconte alors la jeunesse de Jeanne, son commerce avec les esprits, l’arbre des fées. Peu à peu les mécontens se groupent, la noblesse, l’église, tous ceux que la gloire de Jeanne importune, et la conjuration, commencée avant le couronnement, éclate au sortir de la cathédrale. C’est au moment où le peuple acclame sa libératrice que l’accusation se déclare : sortilèges, magie, sourdes intelligences avec le camp anglais, plus, le nom de Lionel qu’on lui jette au visage : l’infortunée se tait, baisse la tête sous sa honte et s’éloigne. Comment, en fuyant, elle tombe aux mains des Anglais, nous l’apprenons au dernier acte qui s’ouvre dans la tente de Lionel ; c’est lui qui l’a prise, mais, pour la protéger et la sauver des griffes du léopard : une scène poussée à l’extrême pathétique : « la scène à faire » nous peint la lutte du devoir et de l’amour, mais en toute explosion et sans aucune des réticences que Schiller s’était d’abord imposées. Ce crime d’aimer un ennemi de son pays, cette déchéance suprême, rien que la mort n’est capable de les expier. Lionel supplie, implore, il essaie de parler en maître, peine perdue ! perdue aussi la démarche du bâtard d’Orléans, qui vient en négociateur réclamer aux Anglais leur prisonnière pour la ramener au roi de France repentant, au pauvre peuple qui la pleure ! La Pucelle reste