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à la fois les deux armées. Au siège d’Orléans, les prisonniers anglais racontèrent avoir vu soudainement des légions innombrables tourbillonner autour d’eux et au-dessus. Leur cohorte emplissait l’espace, une nuée de radieux adolescens sur des cavales blanches indomptables ; ils croyaient voir l’archange Michel en personne guidant les Français sur le pont. » L’archange, c’était elle, l’héroïque et sainte fille, sa bannière victorieuse à la main et le cri de guerre à la bouche : « Glacidas, Glacidas, rends-toi ! rends-toi au roi du ciel ! tu me traites de ribaude et j’en ai grand’pitié pour toi et pour ton âme. » Pris de terreur, le chef anglais se disposait à la retraite, quand une bombe emportant le pont, lui et les siens disparaissaient dans le gouffre. Ainsi devait s’accomplir la prophétie de Jeanne : « Je forcerai les Anglais à lever le siège, mais, ce jour-là, ni toi Glacidas, ni bon nombre des tiens ne le verras ! » Et c’était elle maintenant qui s’apitoyait sur le sort du vieux guerrier, oublieuse de sa propre blessure et de tant d’outrages reçus de lui, pour ne se souvenir que du châtiment dont ces outrages allaient être payés dans l’autre monde.

Nature attendrie et sublime, pleurant l’injure qu’on lui fait et pleurant celui qui la fait ! L’idée de sa mission jamais ne la quitte ; pendant qu’elle dort, l’esprit veille pour l’avertir. Un jour, vers midi, causant avec son hôtesse, le sommeil la gagne ; dans la chambre à côté, son gentil servant d’armes, lui aussi reposait, tombant de fatigue. Tout à coup, elle se réveille en sursaut, demande ses armes, saute sur son cheval et part. Son page et le chevalier d’Aulon la rejoignent à la porte de la ville, comme elle était en train de couper la retraite à une troupe de Français tournant le dos à l’ennemi et qu’elle ramenait au combat. Une sortie commandée à son insu avait causé ce grand tumulte. Mais la voix d’en haut l’avait avertie, elle accourait d’ordre divin et l’échec était réparé. Miraculée du ciel ou de l’enfer, le surnaturel partout éclate. Avant elle, 400 Anglais faisaient fuir 600 Français, elle arrive et les rôles à l’instant sont intervertis : les 600 Français qui fuyaient se ravisent et font à leur tour fuir 1,200 Anglais. Que dire aussi de ces conseils de guerre où l’on voit les chefs militaires les plus expérimentés, un Dunois, un Sainte-Sévère, un Retz, un Lahire, un Gaucourt, se ranger aux plans de bataille d’une fille des champs et recevoir d’elle des ordres donnés parfois de très haut et toujours sans réplique ?

Non ! rien de tout cela ne saurait s’expliquer dans l’ordre ordinaire des choses ; je vais plus loin, si vous en ôtez le merveilleux, ce grand fier sujet ne tient plus. Qu’est-ce que cette gardeuse de moutons qui s’avise de vouloir faire marcher le roi de France ? Une légende ! mais il n’y a pas de légende sans miracle, et des