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châtier et chasser les Anglais. La cause étant d’humilier l’orgueil des grands, celle en qui renaquit la France naîtra parmi les humbles, sous le chaume, et prendra sa première inspiration dans la mystérieuse clairière où se dressait, vieux de mille ans, l’arbre des fées, arbre éloquent, mais d’une éloquence à double entente ; car, s’il lui parlait de la patrie saignante, il lui parlait aussi des oracles druidiques et du gaélique Merlin, le nécromancien. Aussi, parfois, s’enfuyait-elle au grand air de la campagne pour y respirer plus à l’aise, ou dans la solitude de sa chapelle pour prier Dieu ou consulter ses saintes. Ce qui très souvent arrive en ces périls communs, en elle se concentraient toutes les souffrances et toutes les énergies d’une multitude. Son âme était le foyer de résonance ; pauvre âme d’enfant, ignorante, ignorée, que pouvait-elle ? Se dévouer, offrir sa vie ! Mais que vaut pour la France un tel sacrifice ? Elle interroge, et ses voix lui répondent ; les voix qui sont en elle, voix subjectives, qui seules avaient déjà le secret de cette destinée dont l’étrangeté fait la force. Les femmes qui changent de sexe ne sont point rares ; combien en a-t-on vues qui se soient impunément tirées de la métamorphose, menant de front deux héroïsmes qui se contredisent, conservant sous l’armure la chasteté, l’humilité d’une sainte ; mais les saintes ont ce privilège de ne pas toucher la terre, elle, au contraire, se meut au milieu de ce que les passions humaines ont de plus féroce et de plus trivial. Commise au salut d’une nation, elle ne permettra pas au plus brave de la dépasser en valeur masculine, et, de son côté, la femme s’imposera par sa mansuétude et sa modestie, intrépide et timide, belliqueuse sans cruauté, paisible sans faiblesse, impétueuse et circonspecte, d’âme et de corps bien équilibrée, ne quittant pas le ciel et cependant toujours à son affaire : « Tous s’émerveilloient que si hautement et sagement elle se comportât en fait de guerre, comme si c’eût été un capitaine qui eût guerroyé l’espace de vingt ou trente ans, et surtout en l’ordonnance de l’artillerie. » (Déposition du duc d’Alençon.) — « Quand elle doit en venir aux mains avec l’ennemi, elle conduit l’armée, choisit la position, forme les lignes de bataille et combat en brave soldat après avoir ordonné en habile capitaine. » (Lettre d’Alain Chartier.) — Il a fallu Voltaire pour oser gambader autour d’un pareil idéal. Mal lui en prit ; c’est que la Pucelle est une sainte comme il n’y en a guère dans le calendrier, une de ces saintes de l’humanité dont la mission pratique et nationale n’a rien à redouter de la science moderne et de ses découvertes. Le siècle peut venir des chemins de fer, du télégraphe électrique et de la philosophie expérimentale, les négations qu’il amènera ne la touchent point, car sa prière n’exclut pas l’action, et son extase a des résultats que les plus sceptiques sont forcés d’admettre. Elle vit à la fois