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dure obligation, car il est plus facile d’exposer et de critiquer les autres que de s’engager soi-même. Cependant il ne serait pas de bonne guerre de juger sans s’exposer à être jugé ; et le métaphysicien dont on traite de haut la doctrine et les écrits a parfaitement le droit de vous dire à son tour :


Je voudrais bien pour voir que, de votre manière,
Vous en composassiez sur la même matière.


Heureusement le travail nous a été rendu facile par ce que j’appellerai la méthode généreuse de M. Vacherot, méthode qui consiste à faire toutes les concessions que son principe lui permet et à s’avancer autant qu’il lui est possible sur le terrain de ses adversaires. Nous n’avons qu’à imiter cette méthode, et à rendre concession pour concession : le point où nous nous arrêterons délimitera le champ de la dispute. Cette méthode d’acheminement respectif l’un vers l’autre et de concession réciproque n’est guère de mise en philosophie. On considère les concessions comme de petites lâchetés, et on se cantonne dans des idées à outrance qui d’ordinaire ne se répondent pas, et qui triomphant, chacune de son côté, des sottises de la partie adverse, amènent en général la galerie à conclure pour le scepticisme. Si au contraire on commençait par dire avec précision jusqu’où l’on peut aller de chaque côté, le champ de la contradiction serait réduit d’autant ; et il y aurait au moins un gain certain : à savoir les choses acceptées d’un commun accord. Herbert Spencer a dit admirablement : « La controverse métaphysique n’est qu’une délimitation de frontières. » Par exemple, pour ce qui concerne le problème de Dieu (bien entendu, ceux qui nient cette notion étant en dehors du débat), la question entre les panthéistes et les théistes est une fixation de limites entre l’élément métaphysique et l’élément moral qui composent cette conception. Le panthéisme fait ressortir l’élément métaphysique, le théisme fait ressortir l’élément moral : jusqu’où peut-on aller dans un sens ou dans l’autre ? Voilà la question.

Cela posé, nous dirons que le fort de la doctrine de l’immanence ou du panthéisme (M. Vacherot nous permettra ce mot pour aller plus vite), le fort, dis-je, de cette doctrine, c’est la conception de l’infini, conception qui est commune aux théistes et aux panthéistes, mais que les premiers oublient souvent. Comment peut-il y avoir quelque chose en dehors de l’infini ? L’infini, à ce qu’il semble, par définition même, enveloppe et pénètre tout ce qui est fini ; il ne peut y avoir en lui ni en dehors de lui aucun vide dans lequel quelque être véritable viendrait se placer. Dieu n’est pas un être comme les autres, un être supérieur aux autres, un individu plus