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absolu, qui ne s’est pas répété historiquement à des périodes précises. On enseigne en philosophie qu’il ne faut pas faire intervenir la cause créatrice sans nécessité : or, si on éloigne l’acte créateur de-chacun des phénomènes spéciaux de l’univers, le tonnerre, les éclipses, les tremblemens de terre, pourquoi l’admettre à l’origine des espèces, et même à l’origine de l’homme ? L’apparition d’une espèce, même de l’espèce humaine, n’est après tout qu’un phénomène comme les autres, seulement plus grand et qui dure plus longtemps. Bien loin que la philosophie spiritualiste ait aucune objection à élever contre ce point de vue, elle ne peut, au contraire, que lui être favorable ; car ce n’est autre chose que l’extension du dynamisme leibnizien, selon lequel Dieu, en créant les êtres, a mis en eux-mêmes la loi de leur développement. On peut donc admettre l’évolutionnisme, sans admettre le moins du monde le naturalisme et l’athéisme ; et sur ce point, nous sommes de l’avis de M. Vacherot. Quant au principe moteur de cette évolution, puisqu’il le place en Dieu et non dans la nature elle-même, et puisqu’il exclut de Dieu le devenir et le progrès, ce qui est bien le distinguer de la nature à qui seule ces attributs conviennent, puisque, d’autre part, il exclut le mécanisme de Spinoza, que reste-t-il, sinon d’attribuer cette évolution à un acte primordial d’intelligence et de liberté ? Ici, sans doute, l’auteur s’arrête et nous arrête : la crainte de l’anthropomorphisme ne lui permet pas de parler ce langage. Cependant, il ne se refuse pas à appeler du nom de Providence ce haut optimisme qui voit dans l’univers une marche ascendante vers le bien. « Le gouvernement de la Providence, dit-il, se manifeste par les grandes lois de la nature que la science nous révèle chaque jour, et dont la bienfaisante action assure l’ordre, la conservation, le progrès incessant du Cosmos. » Sans doute, il ne s’agit point ici d’une providence particulière, d’un père veillant sur ses créatures comme sur ses enfans. Mais les plus grands métaphysiciens, même chrétiens, Malebranche, par exemple, enseignaient déjà que Dieu n’agit que par des volontés générales ; et même l’optimisme classique de Leibniz ne s’appliquait guère qu’à l’ensemble des choses et fort peu aux individus. D’ailleurs, si l’on admet qu’en Dieu l’universel et l’individuel ne font qu’un, ne pourrait-on pas soutenir que la providence générale est en même temps une providence particulière, et qu’à la consommation des siècles toute créature sera transfigurée et trouvera le secret de son existence ? La doctrine précédente ne contient rien qui contredise cette espérance. Sans sortir de la vie actuelle, c’est déjà beaucoup que de savoir qu’on vit dans le monde de la raison, qu’on réalise un plan divin, que la nature a un but, et qu’en travaillant pour la justice on se rapproche de la divinité. Je ne crois pas être infidèle