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géométrie appliquée. Il opposait la réalité et la vérité. La métaphysique est la science de la réalité ; la théologie est la science de la vérité. La théologie, ou métaphysique idéale, s’élève donc jusqu’à Dieu : bien plus, elle le définit ; elle l’appelle l’Esprit. Il n’y a que l’esprit qui puisse être pris par nous pour le type de la perfection, c’est là ce qu’il y a de vrai dans la théologie chrétienne et cartésienne. Mais l’esprit pur, l’esprit parfait ne peut exister qu’en esprit et en vérité, c’est-à-dire dans la pensée, non dans la réalité. L’esprit seul est Dieu ; le monde n’est pas Dieu. C’est par un étrange abus de mots que le panthéisme lui donne ce nom. Quelque magnifique idée que l’on se fasse du Cosmos, il y a un abîme entre Dieu et le monde. Les vrais théologiens ne sont ni Parménide, ni Spinoza, ni Hegel, qui ont cherché Dieu dans l’universel : c’est Platon, c’est Aristote, c’est saint Augustin, Descartes, Leibniz, qui l’ont cherché dans l’être parfait, dans l’esprit. Le sentiment religieux peut se conserver tout entier dans une philosophie qui admet l’idéal ; et l’auteur, entraîné par l’ivresse de sa pensée, s’écriait, en modifiant un mot célèbre de Fénelon : « O Idéal ! n’es-tu pas le Dieu que je cherche ? » Un instant, il avait cru le trouver dans le monde réel, mais il s’en est détourné : « Ce n’est que le Dieu Pan de l’imagination… Où le chercher alors, s’il n’est ni dans le monde, ni hors du monde ? Où le chercher, sinon en toi, saint idéal de la pensée ! »

Ainsi, dans cette seconde phase de sa philosophie, M. Vacherot renonçait au panthéisme de la première. Le panthéisme essaie de confondre l’idée de Dieu et l’idée du monde, la réalité et la vérité. Ce fut pour notre auteur un premier éblouissement ; mais bientôt il fut amené à briser cette unité panthéistique, il vit le monde d’un côté et Dieu de l’autre. Il sépara la réalité de la vérité. Pour ce qui est du monde et de la réalité, il fut hardiment athée ; pour ce qui est de la vérité et de l’idéal, il fut hardiment théiste. Il ne voulut plus d’un Dieu imparfait qui contient dans ses entrailles le crime et l’erreur. Il voulut pouvoir en appeler du monde à Dieu dans le ciel de la conscience. Ce Dieu n’est qu’une conception de la pensée, mais il est plus vrai que le Dieu réel, qui ne vit que dans l’espace et dans le temps.


II

Considérons maintenant la philosophie de M. Vacherot dans sa troisième et dernière phase, dont son récent ouvrage n’est que le complément et l’achèvement. Dans cette troisième phase, c’est le spiritualisme qui domine et qui éclate. Ce spiritualisme n’était