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comme M. Vacherot le disait explicitement, comment nier qu’il aille du moins au plus, du pire au meilleur ? Si, au contraire, il est supérieur à tous ses développemens, et que le monde ne soit que sa représentation, n’est-ce pas revenir en quelque mesure à la doctrine de la transcendance ?

La doctrine précédente, contenue dans les conclusions de l’Histoire de l’école d’Alexandrie était bien une sorte de panthéisme, quoique l’auteur ne l’appelât pas de ce nom ; M. Vacherot n’aimait pas cette qualification de sa doctrine, non sans doute par scrupule timoré ou par respect humain, mais par deux raisons, l’une et l’autre très philosophiques. La première, c’est que le panthéisme d’ordinaire sacrifie l’individualité et la personnalité humaine, ainsi que la liberté morale, principes que M. Vacherot tenait à conserver aussi bien que les spiritualistes les plus décidés ; la seconde, c’est que, conservant de Dieu la même idée que les spiritualistes, il lui répugnait d’appeler Dieu le principe des choses après lui avoir retiré tout ce qui, dans les croyances communes, caractérise le plus la divinité : à savoir la personnalité, la Providence, les attributs moraux. Il y avait donc à s’expliquer sur ces différens points, et c’est ce que fit notre philosophe dans son grand ouvrage : la Métaphysique et la Science, qui est son principal titre en philosophie.

Ce livre parut en 1859, avec beaucoup d’éclat et un grand succès[1]. L’école spiritualiste fléchissait et s’affaiblissait ; l’école critique faisait chaque jour de nouveaux progrès. Dans le silence des uns, devant le progrès triomphant des autres, l’apparition d’une vaste construction métaphysique où toutes les questions (trop de questions peut-être) étaient traitées et résolues, une revue de tous les systèmes (dans laquelle on se trouvait un peu noyé), une critique éclairée qui faisait la part du vrai et du faux dans chacun d’eux, un large éclectisme qui se croyait une synthèse, quoiqu’il n’échappât peut-être pas lui-même à l’objection faite à l’éclectisme de n’être qu’une juxtaposition d’élémens divergens, mais surtout, au milieu de tout cela, une critique neuve et profonde de l’une des idées fondamentales de la métaphysique, celle de l’être parfait, tout cela, en réveillant fortement la pensée spéculative, fit le succès de ce livre, qui tout en inquiétant quelque peu les spiritualistes libéraux, leur donnait au fond cependant confiance et espoir, en leur montrant que tout n’était pas dit, et que leur science avait encore devant elle de vastes et de brillantes perspectives. Ce fut le malheur d’un autre beau livre qui parut à la même époque, l’Essai de philosophie religieuse d’Émile Saisset, de rencontrer cette

  1. Voyez, sur ce livre, dans la Revue du 15 janvier 1860, l’étude de M. Renan : l’Avenir de la métaphysique.