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l’industrie, sinon du travail humain, de l’invention humaine, de la volonté et de la pensée, choses éminemment spirituelles ? On dira encore que cette société ne s’occupe que de bien-être ; de richesse, de santé physique ; qu’elle ne pense qu’au corps. D’abord, cela est faux, car jamais la société n’a été plus ardente à répandre les lumières et l’intelligence ; et, d’ailleurs, même cette propagation du bien-être, qu’est-ce qui la provoque et la stimule, si ce n’est un sentiment d’humanité et de fraternité dont jamais les hommes n’ont été plus préoccupés qu’aujourd’hui ? Or, ne sont-ce pas là des sentimens d’un ordre tout spirituel ? Enfin, dira-t-on, vos gouvernemens ne sont que des gouvernemens matériels, s’appuyant sur la loi du nombre, qui n’est qu’une force brutale : encore un progrès du matérialisme. Eh bien ! non. Cette souveraineté prétendue du nombre est, en réalité, celle de la personnalité humaine, que l’on suppose égale chez tous les hommes. S’il y a là une illusion, c’est une illusion spiritualiste, non matérialiste : car c’est par l’âme et non par le corps que les hommes sont égaux. C’est ce qu’entendait Montesquieu lorsqu’il disait que, dans les états démocratiques, « tout homme étant censé avoir une âme libre, doit être gouverné par lui-même. »

Le spiritualisme aurait donc en sa faveur, si l’on y regardait de près, un plus grand nombre de forces qu’on n’est tenté de le croire, s’il voulait connaître ces forces et s’en servir au lieu de les laisser entre les mains de ses adversaires et de les envelopper dans un même esprit de défiance. Le spiritualisme est une des formes indestructibles de la pensée humaine : seulement il doit se modifier suivant les temps et suivant les progrès de la science, de la société et de la raison.

Sous quelle forme cependant devons-nous nous représenter aujourd’hui le spiritualisme de l’avenir ? M. Renan a souvent émis cette pensée remarquable que le christianisme restera sans, doute le fond de la société européenne, mais qu’il deviendra de plus en plus un christianisme individuel. Chacun sera chrétien selon sa conscience, selon sa mesure, selon les exigences de son esprit. Eh bien ! je crois également que le spiritualisme sera dans l’avenir et est déjà dans le présent un spiritualisme individuel. C’est de cette manière que l’on peut entendre, je crois, ce que M. Vacherot vient d’appeler, dans un livre récent, « le nouveau spiritualisme. » Il l’oppose à l’ancien, c’est-à-dire à celui d’il y a trente ou quarante ans. À cette époque, pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir et que nous avons exposées en temps et lieu, le spiritualisme avait cru devoir se condenser et se formuler en un certain nombre d’articles précis et définis. Il était devenu « la religion naturelle, » le christianisme moins la foi. Le spiritualisme tel que