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que le remarque finement M. de Marcellus, pourquoi la del Drago, que l’ambassadeur distinguait, courtisait même, gît-elle perdue dans la foule des Romaines, tandis que la Fafconieri, qu’il ne regardait jamais, est seule mise en relief ? Ce sont là des mystères que je ne me charge pas d’expliquer.

Une personne qu’à Rome tout le monde admirait et courtisait alors était Mme D,.., une des plus jolies personnes que j’aie jamais rencontrées. Son mari était un savant qu’elle avait épousé à l’âge de quinze ans et dont elle avait été promptement séparée. Un deuil tout récent l’empêchait, au cours de cet hiver de 1828-1820, de se produire dans le monde. Elle a été depuis mariée en secondes noces au baron de S…, chargé d’affaires de Bavière à Rome, et c’est elle qui, avec le duc d’Harcourt, a contribué, en 1849, à faire sauver Pie IX de Rome. Je lui avais été présenté par son frère, très agréable prélat qui avait auprès des dames du pays et des étrangères le même genre de succès que sa sœur parmi les hommes. Elle demeurait place de Venise, dans le même palais que le secrétaire d’état du saint-siège, le cardinal Bernetti, son protecteur et son oncle, je crois. Le soir, elle recevait un très petit nombre d’intimes. Comme je m’étais tout de suite mis sur le pied d’un personnage sans nulle prétention à lui plaire et absolument désintéressé, elle m’avait choisi pour son confident. Elle me tenait journellement au courant du degré d’avancement où en étaient avec elle ceux de mes amis (ils étaient très nombreux) qui lui faisaient la cour, et je savais exactement par elle-même jusqu’où chacun d’eux avait poussé sa pointe. Les pieds démangeaient à Mme D… de ne pouvoir danser aux bals qui se donnaient à Rome, et parfois elle me demandait de lui faire faire un tour de valse dans son salon.

Quand nous arrivions un peu tard et qu’elle était couchée, elle ne faisait point difficulté de nous laisser entrer tout de même dans sa chambre afin que nous pussions lui décrire sur le vif l’éclat des fêtes dont elle était privée. Si nous étions seuls, c’est d’elle-même que je l’amenais à me parler. Avec la franchise et la désinvolture italiennes, elle m’a raconté les circonstances de son mariage et celles de sa rupture avec son époux. Elle ne faisait nul mystère de la violente passion qu’elle avait inspirée au comte M…, second secrétaire de l’ambassade de France, dont le caractère a toujours passé pour assez difficile. Leur liaison avait donc été passablement orageuse et mêlée, de sa part, de violens accès de jalousie. Un jour, à la suite d’une scène de reproches, elle s’était donné de désespoir un coup de poignard en pleine poitrine. Heureusement le poignard qui s’était trouvé sous sa main n’était autre qu’une paire de petits