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étrangères, pour figurer au nombre des attachés qui allaient faire partie de son ambassade à Rome.

Il m’a fallu depuis rabattre un peu de mon admiration pour le grand homme. Chose singulière ! ce sont les Mémoires d’outre-tombe, ce monument élevé par lui-même à sa gloire, qui m’ont mis sur la trace des défauts et des travers qui ont déparé cette grande renommée. En voulant trop l’idéaliser et la pousser outre mesure à l’effet, c’est lui-même qui, de sa main, avec son propre crayon, a fait grimacer sa figure. J’ai entendu dire à M. de Barante, qui en avait eu connaissance avant qu’ils eussent été retouchés, que ces mémoires avaient été beaucoup plus agréables, dans leur premier jet. M. de Chateaubriand les avait, à son avis, gâtés en les surchargeant de détails, de retours incessans et un peu guindés sur lui-même, sur les événemens ultérieurs de son existence, en se prêtant, après coup, des sentimens qui étaient loin d’avoir toujours été les siens au moment où ils furent d’abord écrits. Il leur avait ainsi ôté le mérite d’une parfaite exactitude, et leur grâce première en avait été maladroitement altérée. Quand on y regarde de près, et pour qui s’y connaît un peu, ces retouches fâcheuses ne laissent pas d’être assez facilement reconnaissables.

Avant de raconter ce que j’ai vu par moi-même de l’ambassade de M. de Chateaubriand à Rome, je viens de relire ses Mémoires d’outre-tombe, les volumes de M. Sainte-Beuve intitulés : M. de. Chateaubriand et son Groupe littéraire ; le livre que M. de Marcellus, qui était à Rome pendant l’hiver de 1828 à 1829, a écrit sous ce titre : Chateaubriand et son Temps, et qui n’est guère lui-même qu’un commentaire souvent rectificatif des Mémoires d’outre-tombe. J’ai enfin sous les yeux la correspondance adressée de Rome à ma mère par son mari, auquel notre ambassadeur faisait alors volontiers des confidences parce que, à la chambre des pairs, ils appartenaient tous deux au même groupe politique. Avec cette aide, et grâce à mes souvenirs personnels, je ne désespère pas tout à fait de pouvoir, comme disent les photographes quand ils font un portrait, mettre assez bien au point la figure de mon ancien chef.

On sait que l’auteur des Mémoires d’outre-tombe ouvre le récit de son ambassade à Rome par une digression sur ses relations avec Mme Récamier, digression qui n’a pas moins de vingt-trois chapitres, tous remplis d’un bout à l’autre d’intimes détails sur la vie de l’incomparable enchanteresse. Rien qu’à les lire, il est facile de deviner que ces pages louangeuses ont été mises sous les yeux de celle qui les avait inspirées. Ce que l’on sait moins et ce que je viens d’apprendre tout récemment de la façon la plus positive, c’est que Mme Récamier, après hésitations et conseils provoqués de droite et