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au Palais-Bourbon, dont tout le monde avoue la nécessité pour sauvegarder la sécurité publique et qu’on ne peut réussir à rédiger en termes à peu près acceptables, sur laquelle on arrive péniblement à se mettre d’accord. Il y a la loi du scrutin de liste, qui a été votée par la chambre des députés, que le sénat, à son tour, se prépare à discuter, qu’il corrigera sans doute en partie et sur laquelle il faudra bien s’entendre. A part la loi générale de recrutement qui n’est qu’une œuvre incohérente de secte et qui a fort heureusement bien des chances de rester pour cette année dans les archives, il y a l’organisation de l’armée coloniale qui répond à un intérêt beaucoup plus immédiat et plus pratique, dont nos dernières entreprises ont fait une sorte de mesure d’urgence. Il y aussi une loi sur les sociétés de secours mutuels, une loi sur les incompatibilités parlementaires; il y a surtout le budget, qui est la première nécessité, si on ne veut pas laisser à une chambre nouvelle l’obligation ingrate de commencer sa carrière par les inévitables douzièmes provisoires. Et puis, il y a l’imprévu, les incidens, les surprises, les interpellations, tout ce qui peut être la tentation ou le piège des assemblées; mais quelles que soient les discussions qui vont remplir cette courte session, qu’on étende ou qu’on resserre le programme, il est assez visible que tout est désormais subordonné à une considération unique et exclusive, que tout ce qui se fera sera fait pour les élections et dans l’intérêt des élections.

On expédiera toutes les lois qu’on voudra, on ne les considérera guère pour elles-mêmes en définitive ; on les votera ou on les repoussera en songeant à cette épreuve sur laquelle tous les regards commencent à se fixer, qu’on sait prochaine sans en connaître encore l’heure précise. C’est ce qui domine tout, et à mesure qu’on approchera du terme, la préoccupation sera d’autant plus vive que les circonstances ne laissent pas d’être de toute façon assez sérieuses. En dépit des optimismes plus ou moins intéressés, plus ou moins sincères, on sent vaguement que dans ces élections qui se préparent il y aura de l’inconnu et peut-être quelque chose de décisif, qu’il y a dans tous les cas une crise à traverser. D’un côté, ce scrutin de liste qu’on a tenu à voter, que le sénat sanctionnera sans nul doute, change évidemment les conditions électorales, crée une situation toute nouvelle, et peut réserver de singulières surprises en se prêtant à des combinaisons d’influences inattendues, à toutes les évolutions d’opinion ; d’un autre côté, il est certain que députés, partis, gouvernement, républicains de toutes nuances qui ont régné depuis quelques années et qui ne vont plus être que des candidats, iront aux élections avec la lourde responsabilité des mécomptes, des épreuves, des malaises qu’ils ont infligés au pays par leur politique. Ce sera au pays à se prononcer souverainement, à juger les députés sur ce qu’ils ont fait, à se servir au besoin de l’instrument nouveau qu’on remet en ses mains.