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Mais il faut être patient avec cette musique, parce qu’elle est éternelle : patiens quia æterna.

Patient, nous le sommes ; pas assez, dit-on. Cette musique-là, c’est comme l’équitation. Quand on est tombé de cheval, on remonte et l’on finit par se tenir : affaire d’habitude. On peut s’habituer à tout, mais on ne doit pas s’habituer à certaines choses. Le laid est de ces choses-là, — comme le mal.

Entendre une fois les Maîtres-Chanteurs ne suffit pas pour les connaître à fond, mais cela nous suffit pour ne plus vouloir les entendre. Il n’y a pas là pour nous de secrets à pénétrer, pas de beautés mystérieuses qu’on entrevoit avant de les comprendre. Les ronces et les halliers défendent les abords du palais ; mais ne nous déchirons point inutilement à leurs épines : le palais est vide et l’on n’y trouverait pas la Belle au bois dormant.

À s’obstiner avec les Maîtres-Chanteurs, on ne gagnerait rien. En eux, les belles choses, comme les autres, frappent tout de suite. Pourquoi, si l’œuvre est homogène, pourquoi ne s’impose-t-elle pas dans son ensemble, tout aimable ou tout odieuse ? Pourquoi n’applaudissons-nous pas toujours, comme vous ? Pourquoi, vous-mêmes, applaudir toujours, tantôt avec nous, tantôt contre nous ? Entre le Wagner que nous admirons et celui que nous ne pouvons souffrir, entre l’homme de génie et l’homme de système, il y a plus que de la différence, il y a opposition. Sans comparer Wagner à lui-même, qu’on le compare à des maîtres que nul ne conteste, même ses plus farouches sectaires. Laissons Meyerbeer ; laissons Mozart, qui les ferait sourire ; Rossini, qui les ferait rire ; prenons Gluck. Bien osé qui récuserait celui-là ! Si la beauté musicale et dramatique est dans Orphée et dans Iphigénie, elle n’est pas dans les Maîtres-Chanteurs, ou elle n’y est que rarement. On ne peut admirer sans contradiction des œuvres aussi diverses. Mais, selon les wagnériens, la beauté suprême n’est peut-être, comme Dieu selon Hegel, que la conciliation des contradictoires. Non-seulement ils concilient Wagner et Gluck ; mais, pour eux, l’un procède de l’autre. Wagner tient de Gluck la justesse du sentiment dramatique, la vérité de l’expression. Il a approprié aux temps modernes l’art sublime du vieux maître ; il a été le musicien antique des « pensers nouveaux. »

Ici la discussion devient presque impossible, tant les deux opinions sont éloignées.. Il y a entre Wagner et Gluck un abîme, mais rien ne saurait démontrer qu’il existe, car on ne tombe pas matériellement dans ces abîmes-là. Gluck aime à développer comme un cortège antique de grandes et nobles lignes, Wagner les brise ; Gluck est simple, Wagner, compliqué ; Gluck est lumineux, Wagner obscur. Rappelez-vous d’augustes mélodies : la plainte d’Orphée ou les adieux d’Iphi-