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Un chevalier allemand, Walther de Stolzing, aime une jeune Nurembergeoise, Éva, fille de Pogner. La belle ne sera donnée par son père qu’au vainqueur du concours musical et poétique qui va s’ouvrir. Walther se met aussitôt sur les rangs. Il entre en lutte avec un vieillard ridicule, musicien, et, comme lui, épris d’Éva. Il échoue d’abord, mais grâce à la protection, aux conseils du cordonnier Hans Sachs, le véritable héros de la pièce, il finit par triompher. Il est proclamé maître-chanteur et mari de Mlle Pogner devant tout le petit commerce de Nuremberg, aux acclamations des boulangers, des fourreurs, des ferblantiers, des étameurs, des épiciers, des tailleurs, des savonniers, des chaussetiers et des chaudronniers.

Voilà la pièce telle que nous l’avons comprise à la représentation : les Maîtres-Chanteurs, ou le Bon savetier. Nous ne sommes plus dans la mythologie de Parsifal ou de la Tétralogie, dans la légende héroïque du Tannhäuser ou de Lohengrin. La chevalerie fait place à la cordonnerie. Maîtres-chanteurs ou maîtres-bottiers ? Nous nous y sommes mépris nous-mêmes, au moins dans le détail. Nous avions vu là plus de savetiers qu’il n’y en a en réalité. Tous les personnages principaux ne sont pas du métier : Pogner est orfèvre et Beckmesser greffier. Le premier acte est le plus terrible. Peut-être ne s’achèverait-il pas sur une scène française ; avant la fin, la salle serait désertée ou le public affolé. En écoutant cet acte, en le voyant, on sent dans sa plénitude l’ennui wagnérien, l’inexorable ennui, comme disait Bossuet. Les premières mesures pourtant sont intéressantes. Quand le rideau se lève sur l’église Sainte-Catherine, les fidèles sont assemblés et prient. Il y a là un choral sonore et franc. Éva est à son banc et Walther la contemple amoureusement. L’orchestre et l’orgue se répondent ; les violoncelles gémissent et se passionnent, tandis que le plain-chant continue. C’est beau, mais c’est court. Éva se lève et le jeune homme l’aborde. Quelle première rencontre ! Une suite de phrases étranglées, de mots notés au hasard, comme un dialogue de hoquets ! Ah ! la rencontre de Faust et de Marguerite, de Juliette et de Roméo !

Bientôt accourt une bande de gamins menée par un grand garçon qui joue avec une boulette de papier attachée au bout d’une ficelle. Voilà qui est allemand, echtdeutsch. C’est David, l’apprenti de Sachs, un sous-bottier, un sous-maître chanteur, amoureux de Madeleine, la nourrice d’Éva. Encore echtdeutsch, le goût des nourrices ! Les gamins disposent la sacristie pour la réunion préparatoire au concours. Ils apportent les bancs, le fauteuil du président, celui des candidats à la maîtrise, et une sorte de guérite bizarre, d’appareil à douches circulaires, fermé de rideaux où doit se cacher le marqueur. Le marqueur est chargé de relever sans pitié dans le chant des concurrens les fautes contre les règles de la prosodie et de la musique, les manque-