L’état, de son côté, devait, dans les questions économiques plus encore que dans les questions religieuses, s’apercevoir qu’il ne lui est pas toujours facile de se désintéresser de ce qui ne semble pas rentrer directement dans sa sphère d’action. Ce désintéressement devait lui devenir d’autant moins aisé que, sous le règne de la bourgeoisie et plus encore avec l’avènement de la démocratie, les questions économiques allaient prendre une importance croissante, importance qui est elle-même un signe des progrès de la démocratie, soucieuse avant tout des intérêts matériels, et cela plus que jamais aujourd’hui que l’irréligion ou le grossier positivisme des masses les laisse insensibles à tout intérêt spirituel. L’état, du reste, sauf peut-être dans les pays anglo-saxons (et là même il cède de plus en plus à la pression de la démocratie), l’état n’a jamais été grand partisan des maximes du laisser-faire et du laisser-passer, qui semblent restreindre sa puissance en même temps que sa sphère d’action. Aussi l’avons-nous vu, dans les dernières années, incliner en maint pays à se servir des nouveaux penchans démocratiques pour agrandir son pouvoir avec son domaine. Ainsi s’explique comment le socialisme révolutionnaire de l’extrême démocratie a rencontré chez ses adversaires naturels un auxiliaire et un émule dans ce qu’on a nommé le socialisme d’état. Et ce qu’ont fait les gouvernemens, obéissant à l’instinct envahissant du pouvoir, les partis fondés sur les traditions politiques ou religieuses inclinent à le tenter à leur profit, se leurrant de l’espoir de faire servir les aspirations ouvrières à la restauration des influences traditionnelles et de l’ancien ordre social. Chaque groupe, chaque parti politique ou religieux a ainsi son plan de refonte de la société. En face des différentes formes du socialisme démagogique, du communisme, du mutualisme, du collectivisme, surgissent le socialisme conservateur, le socialisme de la chaire, le socialisme protestant, le socialisme catholique, tous ligués contre le dogme de la liberté et de la libre concurrence. Le libéralisme politique et économique se croyait si sûr d’une entière victoire qu’il avait déjà entonné les funérailles du socialisme, et voilà que, dans les pays les plus éclairés, ce mort importun ressuscite sous des noms et des aspects nouveaux.
Ainsi, de quelque côté qu’il se tourne, le libéralisme est en butte à des mécomptes répétés. Dans aucun domaine, il ne l’a définitivement emporté. Nulle part il n’a échappé aux palinodies et aux revers. N’est-ce pas là, pour les doctrines libérales, une condamnation