de la patrie en unités autonomes, en molécules sociales plus ou moins indépendantes du pouvoir central. Après s’être proclamée une et indivisible, la souveraineté du peuple, se retournant contre l’unité et reniant son ancien credo, menace de se déchirer de ses propres mains, de se mettre elle-même en pièces.
Mais, qu’on ne l’oublie point, ce penchant au fractionnement de la puissance publique et au morcellement de l’état, ce néo-fédéralisme démocratique, la liberté et les droits individuels, dont le respect est la mesure de toute vraie liberté, n’ont, contrairement à de spécieuses illusions, rien à en espérer. Comme la cité antique, la nouvelle commune autonome a une tendance marquée à confondre tous les pouvoirs et à se les arroger tous. Elle s’ingénierait à tout courber sous l’autorité publique, et dans les murs d’une ville, dans l’étroit périmètre d’une commune ou d’un canton, un pareil joug serait d’autant plus tyrannique que plus mince serait le territoire et plus voisin le souverain. A regarder aux réalités et non aux apparences, ce que l’extrême démocratie revendique sous le nom de franchises communales, ce n’est, le plus souvent que la faculté d’établir à son profit une autorité absolue dans les localités qu’elle se flatte de dominer.
Les deux forces opposées en lutte dans la démocratie, la tendance centraliste et la tendance autonomiste, sont donc loin d’être aussi divergentes qu’elles semblent l’être au premier abord. Elles diffèrent moins par le but que par les voies et moyens. Toutes deux en somme tendent presque également à l’accroissement de la puissance publique, à la restriction des droits individuels, par suite à la diminution des libertés effectives. Despotisme de l’état unitaire ou fédéral, nation ou commune, tel est l’écueil sur lequel l’un et l’autre de ces courans en apparence contraires poussent sous nos yeux les peuples modernes. La liberté est en danger d’un côté comme de l’autre. Les deux penchans qui se disputent en son nom la démocratie ne peuvent la servir qu’en se combattant et se faisant contrepoids.
Triste contradiction des choses humaines ! A quoi menace d’aboutir la démocratie, une fois parvenue à l’extrémité de son développement logique ? A la tyrannie au nom des droits de l’état et des intérêts généraux ; à l’anarchie au nom des droits de la commune, au nom des intérêts locaux ou des intérêts de classes. Après un siècle d’orgueilleuses promesses et de périlleuses expériences, le libéralisme se retrouve en face de l’antinomie apparue dès la révolution et si fortement signalée par l’impitoyable logique de M. Taine. Despotisme et anarchie se succédant tour à tour ou parlois coexistant simultanément, despotisme sans autorité dirigeante, et anarchie sans liberté, tel serait, si l’extrême démocratie était