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maîtres. L’éducation politique est essentiellement différente de l’enseignement que peut donner l’école, lequel risque parfois d’aggraver, au lieu de le corriger, l’un des principaux défauts du populaire, la présomption. L’éducation politique est bien plutôt le fruit des mœurs, des traditions, de l’expérience, que d’études tronquées et de vagues leçons de pédagogues, en cela non moins ignorans que leurs élèves. Tant que cette éducation, qui ne s’acquiert que par les épreuves, ne sera pas faite, ce qu’on peut encore espérer de mieux pour les démocraties modernes, c’est le règne de la médiocrité.

Si, nous sommes heureux de le reconnaître, le libéralisme a, çà et là, réussi à éviter les plus durs de ces mécomptes, s’il a eu plus d’une fois l’honneur de procurer aux peuples un gouvernement probe et éclairé, l’invasion continue de la démocratie lui rend partout cette tâche de moins en moins aisée. Alors même, il est vrai, qu’il serait contraint de s’avouer hors d’état de justifier sa devise : « Le pouvoir aux plus dignes, » le libéralisme n’aurait pas pour cela perdu tous ses avantages. Il serait encore en droit de revendiquer un mérite qui n’est pas mince : la limitation avec la division des pouvoirs. Tel est peut-être son principal titre, mais cet avantage, est-il réellement parvenu à se l’assurer et n’est-il pas depuis longtemps en train de le perdre ?

La théorie de la séparation des pouvoirs a longtemps possédé la faveur des libéraux. Ils comprenaient que, si la puissance publique était tout entière aux mains d’un seul corps, fût-il électif, la liberté n’aurait guère plus de garantie que sous le gouvernement d’un seul. Aussi, tout en s’efforçant de placer l’axe du pouvoir dans les assemblées électives, cherchaient-ils à le partager entre des chambres diversement recrutées et prétendaient-ils réserver au pouvoir exécutif une sphère d’action distincte. Beaucoup même se fondaient sur ce motif pour maintenir au-dessus des délégués du pays et en face du parlement une autorité héréditaire. Cette séparation des pouvoirs semblait même aux théoriciens le caractère propre du gouvernement constitutionnel. L’événement devait montrer combien, en réalité, le régime représentatif s’y prêtait peu. Partout où il s’est librement développé, le gouvernement constitutionnel s’est transformé en gouvernement parlementaire, et ce dernier, au lieu d’équilibrer et de balancer les pouvoirs entre eux, a rétabli l’unité, avec l’omnipotence de la puissance publique, au profit des élus directs de la nation. On est ainsi retombé dans le vice ou le péril qu’on croyait avoir évité : la confusion ou la subordination des pouvoirs. L’on s’est aperçu qu’on n’avait fait qu’en déplacer le moteur. Loin de se contenter de légiférer et de contrôler l’administration,