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la frontière persane, qui donnait à la Perse le pays des Yomoudes, tandis qu’au dire de ces derniers jamais Persan jusqu’alors n’était venu chez eux, si ce n’est la corde au cou.

La manière dont l’influence anglaise s’exerce dans l’Asie centrale est peu faite pour lui créer des sympathies au Turkestan ; elle se fait sentir occultement, mais d’une façon très conforme aux habitudes des indigènes ; le grand levier est l’argent, qui, toujours à point, est venu soutenir les mauvaises causes et engager les mécontens à la résistance. Durant mes voyages, j’en ai pu faire l’expérience. Une fois la certitude acquise que je n’étais pas Puisse, je devais être nécessairement un émissaire anglais. A la cour de Boukhara, si prudente, plusieurs entrevues me furent ménagées, qui me prouvèrent qu’on me donnait l’occasion de faire des ouvertures. A Khiva, le khan, moins habile que son voisin, parut très étonné que je n’eusse d’autre mandat que celui de boire son thé et de visiter sa capitale. Rêvait-il que mes yakhtanes (valises) étaient pleines de souverains anglais? Je ne saurais le dire, mais je constatai que les dernières audiences furent moins enthousiastes que les premières. L’insuccès de l’émissaire Siak-Pouch à Merv, toute la conduite d’Abdourrahman, ainsi que le dédain professé par les Turcomans à l’égard de l’Angleterre, prouvent que, si l’or britannique trouve toujours des débouchés dans l’Asie centrale, son influence, en revanche, y a sensiblement décliné. La retraite du général Lumsden et de son escorte à Tirpoul, non loin des frontières persanes, après l’incident du Kouchk, en est du reste la meilleure preuve.

Une rencontre à main armée entre l’Angleterre et la Russie en Asie centrale est invraisemblable; pourquoi la Russie l’appellerait-elle, puisqu’elle obtiendra pacifiquement tout ce qu’elle désire? N’oublions pas qu’aujourd’hui la Russie représente en Asie le pouvoir ascendant qui n’a qu’à se laisser mener par les événemens pour arriver à ses fins. Et c’est précisément ce qui inspire aux Anglais cette jalousie des Russes, qu’ils s’attendent à voir déboucher dans la vallée de l’Indus.

Toucher aux Indes, c’est pire que toucher à l’honneur national des Anglais, c’est toucher à leur bourse, et, depuis qu’on a bien voulu faire de Hérat la clé du coffre-fort, la soumission de quelques bourgades de brigands, à plus de 800 kilomètres des Indes, a produit une levée de boucliers dans l’empire britannique. L’idée que Hérat est la clef des Indes est un non-sens, car, à la distance où cette ville se trouve des possessions anglaises, c’est comme si l’on faisait de Varsovie la clé de la France. D’où vient cette erreur? Simplement des cartes dont on dispose en général, exécutées sur une trop petite échelle.