Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en crédit auprès des Turcomans, que l’ancienne Merv ou Maoureb ne serait autre chose que l’Askabad actuel. Mais il serait oiseux de s’arrêter ici aux légendes que les Turcomans débitent sur les ruines de l’Asie centrale, par la simple raison qu’ils habitent ces contrées depuis trop peu de temps et que l’ancienne population a disparu. Deux noms seuls sont arrivés à leur connaissance : Alexandre et Gengis-Khan, représentant à leurs yeux toute l’antiquité, et qu’ils regardent par conséquent comme les créateurs des villes et des grands travaux dont les ruines grandioses étonnent aujourd’hui leurs regards.

Ce qui est certain, c’est que Merv était une des plus anciennes villes du monde, puisqu’elle est mentionnée dans le Zend-Avesta. Plus tard elle tomba au pouvoir des Perses et fut englobée dans une des satrapies de l’empire d’Alexandre. Du Ve au VIIIe siècle, Merv fut en grande partie chrétienne; les nestoriens persécutés dans l’Orient qui s’y réfugièrent firent tant de prosélytes parmi les Parsis que cette ville fut érigée en archevêché ; quand, deux siècles plus tard, les Arabes s’emparèrent de la cité du Mourgab, c’était un centre intellectuel très important possédant des hôpitaux et de nombreuses bibliothèques, qui devint la capitale du Khorassan et atteignit l’apogée de sa grandeur au XIe siècle sous la domination des Turcs. Gengis-Khan épargna cette ville, mais son fils Touli-Khan la détruisit et y fit massacrer 70,000 personnes; 400 artisans, les plus habiles de la ville, furent épargnés et emmenés à la suite du vainqueur. Après la chute des Timourides en 1505, Merv fut occupée par les Usbegs, pour passer cinq ans après au pouvoir des Persans. En 1790, elle tomba entre les mains des Saryks; les Persans, sous Chah-Mourad, ne pouvant soumettre ces derniers par les armes, détruisirent en 1795, en amont de l’oasis, la grande digue du lac artificiel alimenté par le Mourgab, d’où sortaient tous les canaux du pays, et l’ancienne « reine du monde » qui s’était toujours relevée de ses cendres, privée d’eau, ne présenta bientôt plus qu’un informe amas de ruines envahi par les sables du désert. Les malheureux Merviens transportèrent leurs pénates 40 verstes plus à l’ouest sur le nouveau cours du fleuve, pour tomber vingt ans après au pouvoir des Khivains, dont ils restèrent tributaires jusqu’en 1835; en 1856, les Saryks furent à leur tour refoulés dans les montagnes du sud par les Tekkés, qui transformèrent l’oasis en un véritable repaire de brigands; aussi, après la chute de Ghéok-Tépé, l’élément pacifique de Merv appela-t-il les Russes de tous ses vœux.

L’arrivée d’Alikhanof en 1882, jadis officier dans l’armée russe, donna en peu de temps une nouvelle tournure à la question de Merv. Ce Caucasien, fils d’un officier de la milice du Daghestan, intelligent et ambitieux, travailla avec succès à faire dominer le parti russe et sut gagner à sa cause Gouldjamal, la veuve de Nour-Verdi-Khan,