Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mon interprète, qui m’avait précédé d’une journée pour préparer les logis, avait déniché pour moi une maisonnette avec une grande cour pour les chevaux et mon escorte. Je trouvai mon lit de camp dressé avec de beaux draps bien blancs, et le poêle que je porte parmi mes bagages allumé; aussi, quand, sorti du hammam et dûment débarrassé de la terrible vermine qui est un des fléaux des voyages en Asie centrale, je m’assis devant une bonne soupe aux choux, je me sentis fort satisfait, je le fus plus encore quand, à cette soupe réconfortante, succéda un plat qui vaguement me rappelait ma patrie ; c’était une aimable surprise de la femme de mon propriétaire, brave Allemande des colonies du Volga, qui, sachant que je venais de bien loin, avait espéré retrouver un compatriote; elle vint, toute rouge et toute confuse, de derrière ses fourneaux, me présenter sa petite famille, tous vrais kalbasniks (charcutiers, sobriquet que le Russe applique aux Allemands). Cette nuit-là, j’ai dormi comme un roi ; j’avais 4,000 kilomètres à longues étapes derrière moi et j’étais décidé à faire en ce lieu un temps d’arrêt pour réparer mes forces.


III.

Ce n’est pas sans une certaine émotion que je m’acheminai le lendemain vers la demeure du gouverneur de la Transcaspie ; je me demandais comment je serais accueilli par cet homme tout-puissant pour lequel je n’avais guère de recommandations officielles et que je savais ne pas être au mieux avec mon protecteur, le général Tchernaïef. Un mot de lui et j’aurais pu être forcé de rebrousser chemin, car on ne passe pas si facilement la frontière, qui, à ma connaissance, de ce côté du moins, n’a été abordée par aucun touriste. Mais j’eus le bonheur de trouver dans la personne du général Komarof un grand savant, archéologue et entomologiste distingué et en même temps un vrai gentilhomme russe, hospitalier et bien disposé pour l’étranger arrivé de si loin. Le général gouverneur de la Transcaspie m’a fait par sa bonté oublier les impressions fâcheuses de Kizil-Arvat. J’ai passé mes meilleures heures à Askabad, dans sa maison, où une charmante famille tout européenne rassemble autour d’elle tout ce que la ville contient de gens du monde. Les collections archéologiques du général, commencées au Caucase, contiennent de véritables trésors, et je dois à sa générosité une collection numismatique et des produits de fouilles que je compte parmi les plus précieux objets rapportés de mes voyages.

Quoiqu’il fût extrêmement occupé et préoccupé, — car pendant mon séjour à Askabad, il se jouait une partie fort sérieuse : l’annexion