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se répandait qu’un des grands serdars organisait une expédition, on voyait les alamanetchiks accourir de tous côtés pour se mettre sous ses ordres. Le serdar fixait le lieu et la date du rendez-vous général, mais ne confiait à personne le but de l’expédition. Au jour du départ, les cavaliers montés sur leurs étalons, fraîchement entraînés, menant souvent un cheval de rechange en laisse, se réunissaient autour de leur chef. Du moment que l’alamane se mettait en marche, le serdar devenait maître absolu de ses hommes, exerçant sur eux le droit de vie et de mort. Si l’expédition se dirigeait en Perse, cette troupe silencieuse escaladait de nuit les contreforts du Kopet-Dagh et s’engouffrait dans les précipices des montagnes par des chemins impossibles, pour s’arrêter le jour dans des cachettes connues du serdar seul. L’alamane avait-elle pour but une localité de la plaine fertile du Khorassan, arrivé sur le versant méridional des montagnes, la troupe s’arrêtait, les provisions de graisse de mouton et d’orge, ainsi que les chevaux de main, étaient laissés dans un abri inaccessible, sous la surveillance de quelques cavaliers. La journée se passait à préparer l’attaque, et vers la brume, les combattans quittant leur retraite, fondaient sur un fort kourde ou sur un village de la plaine, tâchant de s’introduire dans l’intérieur du bourg au moment de la rentrée des troupeaux. Cette manœuvre réussissait-elle, un horrible carnage s’ensuivait. Le pillage terminé, ces brigands poussaient devant eux la population valide et regagnaient les montagnes.

Une autre tactique employée surtout contre les forteresses kourdes, consistait à employer des échelles d’assaut, au moyen desquelles ils s’introduisaient dans les murs pendant que les habitans se livraient au sommeil. Chilva-Tchechmé fut pris de cette façon. Sur une population de 480 personnes, 40 seulement purent échapper, tout le reste fut massacré, ou emmené dans l’esclavage. L’un des survivans de ce malheureux bourg me reconta à Chilva-Tchechmé même cette scène effrayante. Les Tekkés tuaient pour le plaisir de tuer; les manches retroussées, armés du ptchak, couteau long et effilé, ils « travaillaient, » suivant son expression, pour assouvir leur soif de sang. Il n’entrait pas dans leur tactique de faire des sièges : l’alamane ne procédait que par surprises nocturnes ; s’ils rencontraient de la résistance, les plus braves se battaient pendant que les autres pillaient et emmenaient les prisonniers.

Les Tekkés inspiraient partout une terreur si grande que leurs attaques étaient presque toujours couronnées de succès. Une fois dans la place, il était rare que la population affolée eût assez de courage pour chasser les agresseurs, si petit que fût leur nombre. Les détails de ces sacs, que je me suis fait raconter sur place par