Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la forteresse était en outre défendue par un corps de 7,000 cavaliers.

Dès l’abord, Skobélef comprit la difficulté de s’emparer de la position par un coup de main et résolut d’en faire le siège. Les Russes ayant capturé deux Tekkés, il permit à ces prisonniers de rentrer dans la forteresse avec la mission d’engager la garnison à se rendre, ou, en cas de refus, à faire sortir les vieillards, les femmes et les enfans. La réponse ne tarda guère ; Tokma-Serdar renvoya dans un sac les têtes des deux émissaires, accompagnées d’un billet plein d’injures.

Un jour que Skobélef inspectait de près les fortifications des ennemis, il fut assailli par une grêle de balles; plusieurs soldats de son escorte furent blessés. Quelques officiers l’ayant engagé à ne pas exposer témérairement sa vie, le général, pour toute réponse, se fit apporter une chaise et du thé, s’assit à 300 mètres de l’ennemi et continua d’étudier attentivement la place en fumant et en dégustant son thé, pendant que les balles sifflaient autour de lui. Mais lorsque le gros obusier du cavalier se mit de la partie et qu’un projectile vint s’enfoncer dans le sol à quelques pas de sa chaise, Skobélef tira son bonnet aux artilleurs et regagna lentement son état-major.

Le bombardement commença bientôt, et les tranchées furent poussées avec vigueur, au milieu des sorties fréquentes des assiégés. En un clin d’œil, malgré un feu roulant de mousqueterie, les canons étaient envahis. Les Tekkés se précipitaient aveuglément sur l’infanterie, sautant par-dessus les cadavres ; ils saisissaient d’une main les fusils des Puisses, les sabraient de l’autre avec une telle fureur qu’à certains endroits le sol était couvert de têtes, d’épaules, de bras, de mains et de jambes. Rien de plus terrible que ces combats corps à corps, dans lesquels on n’entendait plus que le ferraillement des armes blanches, des juremens étouffés, la voix des officiers, de sourds gémissemens, des cris déchirans, puis des allah et des hourrah. Parlant de ce siège mémorable, Skobélef raconte le fait suivant : « Les Tekkés, dans leurs attaques nocturnes, s’élançaient sur les parapets de mes tranchées et là, dominant mes tirailleurs placés dans les fossés, ils les sabraient d’en haut sans qu’il me fut possible de les protéger, lorsqu’un soir, faisant ma ronde aux avant-postes, j’entendis un soldat dire à son camarade : — Le général a tort de nous placer la nuit dans les fossés, car les Tekkés sautent sur les parapets et nous assomment sans que nous puissions nous défendre. S’il nous plaçait à dix pas en arrière, les Tekkés seraient obligés de descendre dans les tranchées, où nous pourrions les exterminer sans danger. — Ce fut une révélation pour